André Lemoyne

Le chemin des pleurs

               À Madame Cousinery.
 
 
Lorsque, portant sa croix, Jésus de Nazareth,
Traîné sur le Calvaire, en gravissait la côte,
Trébuchant dans sa robe écarlate, il pleurait
Sur la route pierreuse... Elle était rude et haute.
 
Cris de foule en délire et corbeaux croassant
Lui faisaient oublier sa couronne d’épines,
D’où jaillissaient, hélas ! de longs filets de sang,
Mêlant un sillon rouge à ses larmes divines.
 
Et de pleurs et de sang Jésus-Christ aveuglé
Tombait... lorsque, d’après une antique légende,
Une femme arracha son fin voile épingle,
Un voile de lin pur embaumé de lavande.
 
Elle essuya les pleurs et le sang du martyr.
Sa douloureuse image au voile resta peinte.
La foule, sur deux rangs muets, laissa partir
La femme dont l’amour garda l’image sainte.
 
Et dès le second jour, sur le chemin des pleurs,
Apparut au soleil levant, dit la chronique,
Jusqu’en haut du Calvaire un long ruban de fleurs
D’un vit azur, sacrant le nom de Véronique.

Chansons des nids et des berceaux (1896)

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