André Lemoyne

L’étoile du berger

               À Sainte-Beuve.
 
 
LE BERGER.
 
Étoile du berger, si tu voulais m’entendre,
Toi qui brilles là-haut comme un pur diamant ;
Où mon œil n’atteint pas, ton regard peut descendre.
Par cette belle nuit tu verras clairement...
 
L’ÉTOILE.
 
Je vois plusieurs pays... Lequel regarderai-je ?
 
LE BERGER.
 
Le pays au delà des étangs.
 
L’ÉTOILE.
 
                                             J’aperçois
Un chemin déroule comme un ruban de neige.
Il sort d’une colline et se perd dans les bois...
 
LE BERGER.
 
Mais pour aller plus loin.
 
L’ÉTOILE.
 
                                 Oui. Le voilà qui marche
En plaine, par les champs de trèfle voyageant.
Après un long détour il saute un pont d’une arche
Où dans les joncs miroite une source d’argent.
Là je dois m’arrêter : le chemin a deux branches.
 
LE BERGER.
 
Prends celle qui descend dans le creux d’un ravin.
 
L’ÉTOILE.
 
Sous de vieux châtaigniers j’y vois des maisons blanches
Qui grimpent au hasard... j’en compte quinze ou vingt.
Tout le village dort.
 
LE BERGER.
 
                       Va jusqu’à la dernière.
Dis-moi si les volets ne sont pas entr’ouverts ?
 
L’ÉTOILE.
 
Aux fenêtres d’en haut passe un fil de lumière.
 
LE BERGER.
 
Et ton regard discret que voit-il à travers ?
 
L’ÉTOILE.
 
Une fille aux bras nus, songeuse, ouvre l’oreille
(Les cheveux dénoués, oubliant son miroir)
Au couplet printanier du rossignol qui veille,
Lui chantant le secret de son cœur sans la voir.
 
Avril épanouit tout son luxe autour d’elle,
Mariant, pour lui plaire, et couleur et parfum,
Fleurs des bois, fleurs des prés, fleurs des eaux... Mais la belle
Pour qui sont les bouquets n’en regarde pas un.
 
Je devine pourquoi. La fleur qu’elle respire
Est dans sa gorge brune et tout près de son cœur.
L’amoureuse lui donne un baiser.
 
LE BERGER.
 
                                       Peux-tu dire
Le nom de la fleurette ?
 
L’ÉTOILE.
 
                                         Un muguet.
 
LE BERGER.
 
                                             C’est ma fleur !

Les charmeuses (1864)

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