André Lemoyne

Cœur de soldat

               À Léo Hector Claretie.
 
 
Tu dois venir de loin, pauvre petit troupier,
Mince, pâle, amaigri, traînant ta jambe lasse ?
—Je viens de Ploërmel (la route est longue à pied)
Et ma dernière étape est au Havre-de-Grâce.
 
« C’est là qu’on nous embarque, et de très grand matin
(Les guerres d’Orient ne sont jamais finies)
Nous partons pour défendre un rivage lointain,
Sous un ardent soleil, où sont nos Colonies.
 
—Sais-tu dans quel pays ?
                                            —C’est un pli cacheté,
Au Timbre de l’Etat, d’un grand cachet de cire
(Quand déjà le navire est au large emporté),
Qu’on ouvre en plein conseil, qui devra nous le dire.
 
« Nous sommes prêts d’ailleurs. Qu’importe où nous allons
(Est-ce à la Côte d’Or, à la Côte d’Ivoire ?),
Que nos trajets en mer soient rapides ou longs,
La trace glorieuse en reste dans l’histoire.
 
« Nous comprenons d’instinct nos droits et nos devoirs.
Que ce soit le Japon, l’Indo-Chine ou Formose
Où se battent des blancs, des métis et des noirs,
C’est nous qui défendons toujours la belle cause.
 
« Au premier feu, nos chefs sont au-devant des leurs.
À l’appel du clairon qui fait chanter son cuivre,
Quand nous voyons dans l’air flotter les trois couleurs,
Nous emboîtons le pas, trop heureux de les suivre.
 
—En revient-il beaucoup, de ceux qui vont là-bas ?
Les fatigues, la soif et la fièvre maligne
En prennent-elles moins que vos rudes combats,
Sans compter les gros temps quand on passe la Ligne ?
 
—J’en ai vu revenir au pays quelques-uns...
Aux autres... les honneurs du convoi militaire :
Les tambours sont voilés pour les braves défunts
Et battent les adieux avant la mise en terre.
 
« On croise deux roseaux sur la tombe... et parfois
On met, quand on la trouve, une branche fleurie.
Dans ces climats lointains, sur la petite croix
Plane le souvenir de la grande patrie. »

Chansons des nids et des berceaux (1896)

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