André Lemoyne

Matin d’hiver

À Mademoiselle Marguerite Coutanseau.

La neige tombe en paix sur Paris qui sommeille,
De sa robe d’hiver à minuit s’affublant.
Quand la ville surprise au grand jour se réveille,
Fins clochers, dômes ronds, palais vieux, tout est blanc.
 
Moins rudes sont les froids, et la Seine charrie :
D’énormes blocs de glace aux longs reflets vitreux
Éclaboussent d’argent l’arche du pont Marie,
Poursuivent leur voyage et se choquent entre eux.
 
Les cloches qui tintaient à si grandes volées,
Pour fêter dignement les jours carillonnés,
N’ont plus qu’un timbre mat et des notes voilées,
Comme si leurs battants étaient capitonnés.
 
Les barques des chalands au long des quais rangées,
De leur unique voile ont fermé l’éventail,
Et toutes dans la glace, en bon ordre figées,
Sont prises dans leur coque et jusqu’au gouvernail.
 
Enrobant le Soleil sous deux ailes de flamme,
Un goéland du Havre ou de Pont-Audemer
Vient comme un Saint-Esprit planer sur Notre-Dame :
On reconnaît de loin le grand oiseau de mer.
 
Ce fut par de joyeux et clairs matins de neige,
Où l’aurore allumait ses premiers feux pourprés,
Qu’autrefois les Normands, blonds fils de la Norvège,
Dressaient la haute échelle à Saint-Germain-des-Prés.

Chansons des nids et des berceaux (1896)

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