Dites-moi, bords féconds de l’antique Neustrie,
Voisins des flots amers,
Ce que va demander, si loin de sa patrie,
Tout ce peuple à vos mers ?
L’Alsace, dès longtemps, vaillante sentinelle
Du pays menacé,
A-t-elle tressailli d’une alarme nouvelle
Dans son poste avancé ?
Le Rhin, comme autrefois, sent-il frémir sa rive
Sous des pas ennemis.
Qu’il envoie en exil, tel que Sion plaintive,
Ses filles et ses fils ?
Ses laboureurs, peut-être, en poussant la charrue
Dans les sillons fumants,
Ont peur de voir crouler l’Europe vermoulue
Sur ses vieux fondements !
Ou, qui sait si pour eux, voyageurs que nous sommes,
L’heure ne sonne pas
Où, sur ce globe étroit, les familles des hommes
Se déplacent d’un pas,
Et, dociles jouets de ce choc qui les pousse
Vers un nouveau destin,
Subissent tour-à-tour, de secousse en secousse,
Un mouvement lointain !
Ce volcan d’orient, qu’est-ce donc qu’il prépare
Dans son cratère ardent ?
L’allons-nous voir encore d’une lave barbare
Inonder l’occident ?
Fuyez alors, et loin des humaines tempêtes
Qui brisent les états,
Tentez, enfants du Rhin, d’innocentes conquêtes
Vers de plus doux climats :
Le fer ne servira dans vos mains pacifiques,
Qu’à creuser les guérets ;
La flamme, qu’à miner les racines antiques
Des incultes forêts.
Oh ! Voyez, embarquant chariots et corbeilles,
L’un par l’autre poussé,
Ces groupes bourdonnant comme un essaim d’abeilles
A la ruche empressé !
Tout part ! Ici s’endort au giron de l’aïeule
Le vagissant maillot ;
La, l’enfance, ô pitié ! S’en va, pleurante et seule,
Se confier au Ilot !
Hélas ! La pauvre mère au bruit de l’incendie
Dans la nuit allumé,
Jette au loin quelquefois, par la peur enhardie,
Un berceau bien-aimé !
Ainsi sont rejetés ces fils de la misère
De ce sol inhumain,
Où depuis trop longtemps la peine est sans salaire
Et le travail sans pain !
Le navire pressant toutes ces têtes blondes
Entre ses flancs obscurs,
Semble, après la récolte, entraîné par les ondes,
Un panier de fruits mûrs !
Fartez ! Un jeune monde avec eux vous réclame,
Vous, qui gardez comme eux
En des corps fatigués quelque jeunesse d’âme,
Quelques rêves heureux !
Mais lorsqu’on a perdu le plus beau d’une vie
Effeuillée à demi,
Qu’à nos labeurs sans fruits l’espérance est ravie,
Qu’on ne fait plus d’amis ;
Quand la coupe du siècle a troublé notre tête
De sa vaine liqueur,
Quand sa fange a terni notre robe de fête,
Son souffle, notre cœur ;
A quoi bon transporter de là cette eau profonde,
Les soucis d’aujourd’hui ?
Mieux vaut rester, languir, mourir dans ce vieux monde.
Et peut-être avec lui !...