Amable Tastu

La jeune mère mourante

Des feux du soir l’horizon se colore ;
J’entends gronder un tonnerre lointain ;
L’air embrasé semble irriter encore
Ce mal brûlant qui dévore mon sein.
Un bruit, un mot, tout accroît mon martyre :
Epoux, amis, éloignez-vous de moi ;
Que mon désir ne cause point d’effroi,
Seule un moment il faut que je respire.
Fuis avec eux, feinte sérénité,
Dont ma pitié rassurait leur tendresse,
Aux jours éteints de ma courte jeunesse
Je puis du moins donner en liberté
Ces pleurs furtifs que répand ma faiblesse.
En paix du moins je contemple ces lieux
Où se jouaient mes riantes années,
Et dont l’aspect, doux encore à mes yeux,
Me promettait tant d’heures fortunées.
Oui, c’en est fait, de son souffle mortel
Le dernier jour glace mon front livide ;
J’entends le bruit de son aile rapide,
Elle m’apporte un sommeil éternel.
Vous pleurerez, vous dont j’étais chérie ;
Mais, en fuyant, le temps consolateur
Ne laissera dans votre âme attendrie
Qu’un souvenir qui n’est pas sans douceur.
Oui, de nos pleurs l’âge tarit la source ;
Les maux passés sont des rêves confus ;
Les ans jaloux entraînent dans leur course
Les derniers vœux de ceux qui ne sont plus.
Et toi, ma fille, à mon amour si chère,
Tu connaîtras de précoces douleurs :
Quand vainement tu chercheras ta mère,
Quelle autre main saura sécher tes pleurs ?
Ciel ! qu’ai-je dit ? Moi, de toi séparée !
Au doux aspect de tes traits ingénus,
Au son naïf de ta voix adorée
Mes sens glacés cesseraient d’être émus !
Je ne pourrais, à l’âge où se déploie
De la raison la première clarté,
Voir à la fois, palpitante de joie,
Naître ta grâce et fleurir ta beauté !
Et des plaisirs quand l’amorce traîtresse
Viendra s’offrir à ton cœur sans détour,
Je ne pourrai diriger ta jeunesse,
Et l’entourer d’un inquiet amour !....
O désespoir ! ô crainte déchirante !
De quels tourments vous aggravez mon sort !
Pour toi, ma fille, alarmée et tremblante,
Puis-je avec calme envisager la mort ?
Foi consolante ! Espérance sacrée !
Soyez l’appui de mon âme égarée ;
Dans ses terreurs venez la soutenir,
Et révélez cet obscur avenir !...
 
Dieu ! quelle paix subite, inattendue,
A mes accents des deux est descendue !
N’entends-je pas retentir dans les airs
Les premiers sons des célestes concerts ?
Transports sacrés de la gloire immortelle,
De mon enfant ne me séparez pas ;
Des lieux divins je puis veiller sur elle,
La suivre encore et guider tous ses pas !
Oui, Dieu puissant, je le crois, je l’espère,
Je deviendrai son ange protecteur ;
Ah ! cet espoir dans le cœur d’une mère
Peut ajouter à l’éternel bonheur.
Je ne crains plus votre pâle lumière,
Entourez-moi, mystérieux flambeaux ;
Sombres apprêts, précurseurs des tombeaux,
Venez veiller à ma couche dernière.
Ministres saints, humbles consolateurs,
Prêtez l’oreille à ma voix presque éteinte ;
Que votre bouche efface mes erreurs,
Et de mon front approchez l’huile sainte.
Mort, prends ta proie ; et vous, hymnes pieux,
Accompagnez mon âme dans les cieux.

Poésies (1826)

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