Alphonse de Lamartine

La tristesse

L’âme triste est pareille
Au doux ciel de la nuit,
Quand l’astre qui sommeille
De la voûte vermeille
A fait tomber le bruit ;
 
Plus pure et plus sonore,
On y voit sur ses pas
Mille étoiles éclore,
Qu’à l’éclatante aurore
On n’y soupçonnait pas !
 
Des îles de lumière
Plus brillante qu’ici,
Et des mondes derrière,
Et des flots de poussière
Qui sont mondes aussi !
 
On entend dans l’espace
Les choeurs mystérieux
Ou du ciel qui rend grâce,
Ou de l’ange qui passe,
Ou de l’homme pieux !
 
Et pures étincelles
De nos âmes de feu,
Les prières mortelles
Sur leurs brûlantes ailes
Nous soulèvent un peu !
 
Tristesse qui m’inonde,
Coule donc de mes yeux,
Coule comme cette onde
Où la terre féconde
Voit un présent des cieux !
 
Et n’accuse point l’heure
Qui te ramène à Dieu !
Soit qu’il naisse ou qu’il meure,
Il faut que l’homme pleure
Ou l’exil, ou l’adieu !

Harmonies poétiques et religieuses (1830)

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