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Aimé Césaire

Laissez Passer

Facile prolongement de la déglutition par la trismégiste bouche obscène d’un marais au ventre brun gluants droseras d’une gadoue heureuse écoutant dans leurs lèvres
quelle nouvelle fraternelle leurs jours sont de rigueur sur ce monde noué de trop de fumées d’haleines masquant la verve de poivre de l’orage
 
Penche penche sur l’abîme sur le vertige penche penche sur le néant penche penche sur l’incendie
 
mais même en plein ciel je retrouve mille couteaux effilés mille clés de lassos mille curés de corbeaux
 
hurle frappe le rocher et la terre je la peuple de poissons
 
que surgissent sur les usines des drapeaux
 
et sonne ta cohorte sonne ton renouveau de flammes
 
sonne ton dais d’argent
 
sonne l’arroi et le désarroi
 
sonne tes cuillers de paratonnerre
 
sonne tes sabots d’onyx
 
sonne ton horizon d’araignée
 
sonne tes cassolettes
 
sonne tes petits verres tordus par le désastre
 
sonne tes gémissements
 
sonne tes éclats de grenade
 
Je supporte le long des méridiens la marche sourde des
 
opulents pèlerins que font les forêts mordues par la rage
 
ébranlement
 
Groenland
 
hyènes dédaigneuses qui me flairez je ne suis pas au
 
désert! l’air s’arrête j’entends le grincement des pôles
 
autour de leurs essieux l’air bruit j’assiste impuissant à
 
l’ensauvagement de mon esprit l’air m’apporte le
Zambèze
 
Les bambous semblent aux multiples arêtes le squelette
 
d’un immense poisson des âges géologiques planté en guise
 
de totem par une peuplade disparue.

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