Cargando...
Aimé Césaire

En Rupture de Mer Morte

Tu les connais, mon cœur, doucement délirants.
 
A fond de cale leurs croupissements musiquent de puanteurs moribondes et les hérauts du vent pluvieux montent, moissonnant lentement l’office d’un soleil pâle.
Parfois une surgie allume dans la fumigation béate la fleur d’un pur sanglot, mais l’instant d’une lueur, la florale poussée dans la cendre, débile et nulle, s’affaisse...
Passez, soleil, les plaies sanglantes suffisamment allument leur purulement propitiatoire.
Passez.
Et maintenant qu’une force irrésistible préside à la métamorphose des paroles en étoile polaire.
 
Ohé, l’ombre là-bas !
 
Les chansons ne s’accrochent plus aux étoiles.
Les sourires même de connivence se sont éteints.
Et pareillement les cassures vives de l’angoisse.
 
Nichés, les rêves.
Une lame muette entre dans le flanc de la terre.
Mais ce n’est déjà plus l’attente du silence plat devant le plat silence.
Une fièvre haute guette le silence plat.
Une pluie douce s’abat sur les buissons.
Une pluie de désir fléché s’essaime à travers champs.
Une pluie de terreur ancienne s’essore vers l’horizon.
Et j’entends, dispersé dans le fracas des blocs de sang heurtés, le dernier boniment :
 
«
Monsieur, le soleil est un gâteau de mastic fort mal fait que vous défoncerez à coups de maillet.
Madame, votre corps astral se promène parmi les fleurs. »
 
Arrière, les cadavres de nains !
 
Arrière, les cadavres de géants acromégaliques !
 
Arrière, l’intendance du passé !
 
Les hommes cherchent dans l’angoisse.
 
Dans l’angoisse montante les hommes fouillent la mort.
 
Et voici que le site hasardeux crisse un nom : le vôtre ! le mien ! dans des touffeurs tragiques.
 
Et mes doigts caressent la corde de vos doigts
 
vos doigts de cul de fosse
 
vos doigts de voix basse
 
vos doigts d’ainsi-soit-il
 
vos doigts d’Atlantide effondrée
 
et mes doigts s’agrippent nerveusement à la corde de vos doigts,
 
vos longs doigts de source et de commencement.
 
Cependant – ah ! la coupure fétide du ruisseau prostitué – un cri, le même, s’éleva, violant toutes les gorges taraudées :
 
«
Qui est-il ?
Qui est-il ? »
 
Qui je suis ?
Vous demandez qui je suis.
 
La lagune qui fait pressentir la tiédeur dernière de son alcôve ; l’herbe folle qui fait crépiter et claironner la sonnerie des graminées ; la terre fumant d’une
fumée d’hivernages ; la torpeur inquiétante des lymphes de l’été.
Coeurs d’argent, cœurs d’argent, d’argent mat, n’entendez-vous pas mon ombre lovée dans le nid tempétueux de l’or jeune ?
Allons, à mon oreille gauche– quand sur la route de jadis le dernier cheval s’enfoncera dans l’ouest fangeux, globulera une lueur étrange : le ciel ! le ciel tendre et jeune, le ciel
nouveau-né, le ciel qu’il fallait contre les balles et les crachats cuirasser d’un sourire impénétrable.
 
C’est assez...
Des fils électriques ! des immersions !
Ery-thrite !
Hurrah ! hélix, anthelix, conque, par vos vallées et par vos monts, insurgés contre leur paisible nourriture de runes, les animaux du gel, le renne, l’élan, l’ours brun, le
renard bleu, le bœuf musqué, détalent, paroles.
Débâcle.
C’est la débâcle.
Hurrah !
J’achève les blessés.
Je tue une seconde fois les morts.
L’androgyne sublime dans le filet de mes rires cueille les purs concepts de l’entendement.
 
Et le feu, le feu de mon sang, de ma glèbe intérieure, le feu où une poupée votre future image, tend vers moi des mains d’enfant, lancé comme une balle par vos
têtes nouvelles roule – dans le cheminement tenace des apparitions – par le sentier depuis longtemps mort du soleil mort.
 
(Tropiques n3, octobre 1941)

Otras obras de Aimé Césaire...



Arriba