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Aimé Césaire

Transmutation

Un arbre pousse contre un mur sa querelle de tuyau tordu en l’absence de toute référence objective les cataractes ont suspendu aux fenêtres le linge que les femmes
hygiéniques tachent de leurs menstrues si bien que rien n’est plus individuel que le saccage du temps seul le cou tanné des prostituées donne encore le sens de l’infini
 
J’ai beau expliquer que je n’ai pas démérité on me laisse seul
 
défense c’est ce que me hurle incessamment un orage toujours annoncé toujours différé qui alimente l’inconscient de nos foules de toutes les péripéties du
cauchemar
Heureusement on ne s’est point aperçu que je me suis aperçu que j’ai des mains pour me tenir compagnie j’ai mes mains de queue de singe j’ai des mains d’attrape-nigaud j’ai mes mains
d’assassin j’ai mes mains de somnambule et parfois quand bat à mon pouls le laps du remords monté de l’Atlantide j’ai mes mains de coquillage j’ai aussi mes mains de guano qui sont si
belles qu’on les appelle des sierras
Nevadas j’ai mes mains de pigeon-voie j’ai mes mains de scaphandre j’ai aussi mes mains à bercer les petits enfants qui viennent à moi car mon exercice le plus spirituel consiste
à essayer de m’arrêter moi-même j’ai des mains de juste qui sous l’effet du mildiou n’arrivent jamais à maturation mes mains incendiaires mes mains bicolores mes mains
à fièvre miliaire mes mains généralement quelconques mes mains de plongeurs de perles qui ont l’habitude des profondeurs
Pour les jours de pluie j’ai mes curieuses mains d’otaries que je ne décrirai pas car ce serait un sacrilège
Les jours de fête j’ai ces mains somptueuses que l’empereur ancien revêtait à
Cuzco pour accueillir le soleil j’ai mes mains qui sont des miroirs à mettre le feu à mes mains à servir d’épouvantail aux oiseaux du solstice

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