Voltaire

À Uranie (I)

1734.
 
Qu’un autre vous enseigne, ô ma chère Uranie
À mesurer la terre, à lire dans les cieux,
Et soumettre à votre génie
Ce que l’amour soumet au pouvoir de vos yeux.
Pour moi, sans disputer ni du plein ni du vide,
Ce que j’aime est mon univers ;
Mon système est celui d’Ovide,
Et l’amour le sujet et l’âme de mes vers.
Écoutez ses leçons ; du pays des chimères
Souffrez qu’il vous conduise au pays des désirs :
Je vous apprendrai ses mystères ;
Heureux, si vous pouvez réapprendre ses plaisirs.
Des Grâces vous avez la figure légère,
D’une muse l’esprit, le cœur d’une bergère,
Un visage charmant, où sans être empruntés
On voit briller les dons de Flore,
Que le doigt de l’Amour marque de tous côtés,
Quand par un doux souris il s’embellit encore.
Mais que vous servent tant d’appas ?
Quoi ! de si belles mains pour toucher un compas,
Ou pour pointer une lunette ?
Quoi ! des yeux si charmants pour observer le cours
Ou les taches d’une planète ?
Non, la main de Vénus est faite
Pour toucher le luth des amours ;
Et deux beaux yeux doivent eux-mêmes
Être nos astres ici-bas.
Laissez donc là tous les systèmes
Sources d’erreurs et de débats ;
Et, choisissant l’Amour pour maître,
Jouissez au lieu de connaître.

Poésies complètes (1778)

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