Victor Hugo

Sommation irrespectueuse

Rire étant si jolie,
C’est mal. Ô trahison
D’inspirer la folie,
En gardant la raison !
 
Rire étant si charmante !
C’est coupable, à côté
Des rêves qu’on augmente
Par son trop de beauté.
 
Une chose peut-être
Qui va vous étonner,
C’est qu’à votre fenêtre
Le vent vient frissonner,
 
Qu’avril commence à luire,
Que la mer s’aplanit,
Et que cela veut dire :
Fauvette, fais ton nid.
 
Belle aux chansons naïves,
J’admets peu qu’on ait droit
Aux prunelles très vives,
Ayant le coeur très froid.
 
Quand on est si bien faite,
On devrait se cacher.
Un amant qu’on rejette,
À quoi bon l’ébaucher ?
 
On se lasse, ô coquette,
D’être toujours tremblant,
Vous êtes la raquette,
Et je suis le volant.
 
Le coq battant de l’aile,
Maître en son pachalick,
Nous prévient qu’une belle
Est un danger public.
 
Il a raison. J’estime
Qu’en leur gloire isolés,
Deux beaux yeux sont un crime,
Allumez, mais brûlez.
 
Pourquoi ce vain manège ?
L’eau qu’échauffe le jour,
La fleur perçant la neige,
Le loup hurlant d’amour,
 
L’astre que nos yeux guettent,
Sont l’eau, la fleur, le loup,
Et l’étoile, et n’y mettent
Pas de façons du tout.
 
Aimer est si facile
Que, sans coeur, tout est dit,
L’homme est un imbécile,
La femme est un bandit.
 
L’oeillade est une dette.
L’insolvabilité,
Volontaire, complète
Ce monstre, la beauté.
 
Craindre ceux qu’on captive !
Nous fuir et nous lier !
Être la sensitive
Et le mancenillier !
 
C’est trop. Aimez, madame.
Quoi donc ! quoi ! mon souhait
Où j’ai tout mis, mon âme
Et mes rêves, me hait !
 
L’amour nous vise. Certes,
Notre effroi peut crier,
Mais rien ne déconcerte
Cet arbalétrier.
 
Sachez donc, ô rebelle,
Que souvent, trop vainqueur,
Le regard d’une belle
Ricoche sur son coeur.
 
Vous pouvez être sûre
Qu’un jour vous vous ferez
Vous-même une blessure
Que vous adorerez.
 
Vous comprendrez l’extase
Voisine du péché,
Et que l’âme est un vase
Toujours un peu penché.
 
Vous saurez, attendrie,
Le charme de l’instant
Terrible, où l’on s’écrie :
Ah ! vous m’en direz tant !
 
Vous saurez, vous qu’on gâte,
Le destin tel qu’il est,
Les pleurs, l’ombre, et la hâte
De cacher un billet.
 
Oui,—pourquoi tant remettre—
Vous sentirez, qui sait ?
La douceur d’une lettre
Que tiédit le corset.
 
Vous riez ! Votre joie
À Tout préfère Rien.
En vain l’aube rougeoie,
En vain l’air chante. Eh bien,
 
Je ris aussi ! Tout passe.
Ô muse, allons-nous-en.
J’aperçois l’humble grâce
D’un toit de paysan ;
 
L’arbre, libre volière,
Est plein d’heureuses voix ;
Dans les pousses du lierre
Le chevreau fait son choix ;
 
Et, jouant sous les treilles,
Un petit villageois
A pour pendant d’oreilles
Deux cerises des bois.

Les chansons des rues et des bois (1865)

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