Victor Hugo

Orphée, au bois du Caystre

Orphée, au bois du Caystre,
Ecoutait, quand l’astre luit,
Le rire obscur et sinistre
Des inconnus de la nuit.
 
Phtas, la sibylle thébaine,
Voyait près de Phygalé
Danser des formes d’ébène
Sur l’horizon étoilé.
 
Eschyle errait à la brune
En Sicile, et s’enivrait
Des flûtes du clair de lune
Qu’on entend dans la forêt.
 
Pline, oubliant toutes choses
Pour les nymphes de Milet,
Epiait leurs jambes roses
Quand leur robe s’envolait.
 
Plaute, rôdant à Viterbe
Dans les vergers radieux,
Ramassait parfois dans l’herbe
Des fruits mordus par les dieux.
 
Versailles est un lieu sublime
Où le faune, un pied dans l’eau,
Offre à Molière la rime,
Etonnement de Boileau.
 
Le vieux Dante, à qui les âmes
Montraient leur sombre miroir,
Voyait s’évader des femmes
Entre les branches le soir.
 
André Chénier sous les saules
Avait l’éblouissement
De ces fuyantes épaules
Dont Virgile fut l’amant.
 
Shakespeare, aux aguets derrière
Le chêne aux rameaux dormants,
Entendait dans la clairière
De vagues trépignements.
 
Ô feuillage, tu m’attires ;
Un dieu t’habite ; et je crois
Que la danse des satyres
Tourne encore au fond des bois.

Les chansons des rues et des bois (1865)

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