Victor Hugo

Ô poète !

Ô poète ! pourquoi tes stances favorites
Marchent-elles toujours cueillant des marguerites,
Toujours des liserons et toujours des bleuets,
Et vont-elles s’asseoir au fond des bois muets
Laissant sur leurs pieds nus, lavés par les eaux pures,
Ruisseler les cressons comme des chevelures ?
Pourquoi toujours les champs et jamais les jardins ?
D’où te viennent, rêveur, ces étranges dédains ?
Loin des buis rehaussant le sable des allées,
Loin du riant parterre aux touffes étoilées,
Bordé d’oeillets en foule empressés à s’ouvrir,
Pourquoi fuir, et pourquoi ne pas faire fleurir
Dans tes vers, où sourit l’heureux printemps qui t’aime,
Le blanc camélia, le jaune chrysanthème ?
 
Et le poète dit : « Nous y viendrons un jour.
Versez dans vos jardins plus de joie et d’amour.
La rêverie a peur des portes et des grilles.
La Liberté, parmi les socs et les faucilles,
Chante dans les prés-verts et rit sous le ciel bleu.
L’homme fait le jardin, les champs sont faits par Dieu. »
 
                                       Le 19 juin 1839.

Toute la lyre (1888 et 1893)

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