Victor Hugo

Les étoiles filantes

                         I.
 
À qui donc le grand ciel sombre
Jette-t-il ses astres d’or ?
Pluie éclatante de l’ombre,
Ils tombent...?—Encor ! encor !
 
Encor !—lueurs éloignées,
Feux purs, pâles orients,
Ils scintillent...—ô poignées
De diamant effrayants !
 
C’est de la splendeur qui rôde,
Ce sont des points univers,
La foudre dans l’émeraude !
Des bleuets dans des éclairs !
 
Réalités et chimères
Traversant nos soirs d’été !
Escarboucles éphémères
De l’obscure éternité !
 
De quelle main sortent-elles ?
Cieux, à qui donc jette-t-on
Ces tourbillons d’étincelles ?
Est-ce à l’âme de Platon ?
 
Est-ce à l’esprit de Virgile ?
Est-ce aux monts ? est-ce au flot vert ?
Est-ce à l’immense évangile
Que Jésus-Christ tient ouvert ?
 
Est-ce à la tiare énorme
De quelque Moïse enfant
Dont l’âme a déjà la forme
Du firmament triomphant ?
 
Ces feux-là vont-ils aux prières ?
À qui l’Inconnu profond
Ajoute-t-il ces lumières,
Vagues flammes de son front ?
 
Est-ce, dans l’azur superbe,
Aux religions que Dieu,
Pour accentuer son verbe,
Jette ces langues de feu ?
 
Est-ce au-dessus de la Bible
Que flamboie, éclate et luit
L’éparpillement terrible
Du sombre écrin de la nuit ?
 
Nos questions en vain pressent
Le ciel, fatal ou béni.
Qui peut dire à qui s’adressent
Ces envois de l’infini ?
 
Qu’est-ce que c’est que ces chutes
D’éclairs au ciel arrachés ?
Mystère ! Sont-ce des luttes ?
Sont-ce des hymens ? Cherchez.
 
Sont-ce les anges du soufre ?
Voyons-nous quelque essaim bleu
D’argyraspides du gouffre
Fuir sur des chevaux de feu ?
 
Est-ce le Dieu des désastres,
Le Sabaoth irrité,
Qui lapide avec des astres
Quelque soleil révolté ?

Les chansons des rues et des bois (1865)

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