Victor Hugo

La pauvre fleur

La pauvre fleur disait au papillon céleste
              —Ne fuis pas !
Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
               Tu t’en vas !
 
Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
               Et loin d’eux,
Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous sommes
               Fleurs tous deux !
 
Mais, hélas ! l’air t’emporte et la terre m’enchaîne.
               Sort cruel !
Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
               Dans le ciel !
 
Mais non, tu vas trop loin !—Parmi des fleurs sans nombre
               Vous fuyez,
Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
               À mes pieds !
 
Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t’en vas encore
               Luire ailleurs.
Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
               Toute en pleurs !
 
Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
               Ô mon roi,
Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
               Comme à toi !

Les chants du crépuscule (1836)

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