Victor Hugo

L’église (I)

                       I.
 
J’errais. Que de charmantes choses !
Il avait plu ; j’étais crotté ;
Mais puisque j’ai vu tant de roses,
Je dois dire la vérité.
 
J’arrivai tout près d’une église,
De la verte église au bon Dieu,
Où qui voyage sans valise
Écoute chanter l’oiseau bleu.
 
C’était l’église en fleurs, bâtie
Sans pierre, au fond du bois mouvant,
Par l’aubépine et par l’ortie
Avec des feuilles et du vent.
 
Le porche était fait de deux branches,
D’une broussaille et d’un buisson ;
La voussure, toute en pervenches,
Était signée : Avril, maçon.
 
Dans cette vive architecture,
Ravissante aux yeux attendris,
On sentait l’art de la nature ;
On comprenait que la perdrix,
 
Que l’alouette et que la grive
Avaient donné de bons avis
Sur la courbure de l’ogive,
Et que Dieu les avait suivis.
 
Une haute rose trémière
Dressait sur le toit de chardons
Ses cloches pleines de lumière
Où carillonnaient les bourdons.
 
Cette flèche gardait l’entrée ;
Derrière on voyait s’ébaucher
Une digitale pourprée,
Le clocheton près du clocher.
 
Seul sous une pierre, un cloporte
Songeait, comme Jean à Pathmos ;
Un lys s’ouvrait près de la porte
Et tenait les fonts baptismaux.
 
Au centre où la mousse s’amasse,
L’autel, un caillou, rayonnait,
Lamé d’argent par la limace
Et brodé d’or par le genêt.
 
Un escalier de fleurs ouvertes,
Tordu dans le style saxon,
Copiait ses spirales vertes
Sur le dos d’un colimaçon.
 
Un cytise en pleine révolte,
Troublant l’ordre, étouffant l’écho,
Encombrait toute l’archivolte
D’un grand falbala rococo.
 
En regardant par la croisée,
Ô joie ! on sentait là quelqu’un.
L’eau bénite était en rosée,
Et l’encens était en parfum.
 
Les rayons à leur arrivée,
Et les gais zéphirs querelleurs,
Allaient de travée en travée
Baiser le front penché des fleurs.
 
Toute la nef, d’aube baignée,
Palpitait d’extase et d’émoi.
—Ami, me dit une araignée,
La grande rosace est de moi.

Les chansons des rues et des bois (1865)

#ÉcrivainsFrançais

Altre opere di Victor Hugo...



Alto