Victor Hugo

À l’enfant malade pendant le siège

Si vous continuez d’être ainsi toute pâle
Dans notre air étouffant,
Si je vous vois entrer dans mon ombre fatale,
Moi vieillard, vous enfant ;
 
Si je vois de nos jours se confondre la chaîne,
Moi qui sur mes genoux
Vous contemple, et qui veux la mort pour moi prochaine,
Et lointaine pour vous ;
 
Si vos mains sont toujours diaphanes et frêles,
Si, dans vôtre berceau,
Tremblante, vous avez l’air d’attendre des ailes
Comme un petit oiseau ;
 
Si vous ne semblez pas prendre sur notre terre
Racine pour longtemps,
Si vous laissez errer, Jeanne, en notre mystère
Vos doux yeux mécontents ;
 
Si je ne vous vois pas gaie et rose et très forte,
Si, triste, vous rêvez,
Si vous ne fermez pas derrière vous la porte
Par où vous arrivez ;
 
Si je ne vous vois pas comme une belle femme
Marcher, vous bien porter,
Rire, et si vous semblez être une petite âme
Qui ne veut pas rester,
 
Je croirai qu’en ce monde où le suaire au lange
Parfois peut confiner,
Vous venez pour partir, et que vous êtes l’ange
Chargé de m’emmener.

"L'année terrible (1872)"

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