Tristan Corbière

Le poète contumace

Sur la côte d’ARMOR. – Un ancien vieux couvent,
Les vents se croyaient là dans un moulin-à-vent,
              Et les ânes de la contrée,
Au lierre râpé, venaient râper leurs dents
Contre un mur si troué que, pour entrer dedans,
              On n’aurait pu trouver l’entrée.
 
–Seul – mais toujours debout avec un rare aplomb,
Crénelé comme la mâchoire d’une vieille,
Son toit à coups-de-poing sur le coin de l’oreille,
Aux corneilles bayant, se tenait le donjon,
 
Fier toujours d’avoir eu, dans le temps, sa légende...
Ce n’était plus qu’un nid à gens de contrebande,
Vagabonds de nuit, amoureux buissonniers,
Chiens errants, vieux rats, fraudeurs et douaniers.
 
–Aujourd’hui l’hôte était de la borgne tourelle,
Un Poète sauvage, avec un plomb dans l’aile,
Et tombé là parmi les antiques hiboux
Qui l’estimaient d’en haut. – Il respectait leurs trous, –
Lui, seul hibou payant, comme son bail le porte :
Pour vingt-cinq écus l’an, dont : remettre une porte. –
 
Pour les gens du pays, il ne les voyait pas :
Seulement, en passant, eux regardaient d’en bas,
              Se montrant du nez sa fenêtre ;
Le curé se doutait que c’était un lépreux ;
Et le maire disait : – Moi, qu’est-ce que j’y peux,
              C’est plutôt un Anglais... un Être.
 
Les femmes avaient su – sans doute par les buses –
Qu’il vivait en concubinage avec des Muses !...
Un hérétique enfin... Quelque Parisien
De Paris ou d’ailleurs. – Hélas ! on n’en sait rien. –
Il était invisible ; et, comme ses Donzelles
Ne s’affichaient pas trop, on ne parla plus d’elles.
 
–Lui, c’était simplement un long flâneur, sec, pâle ;
Un ermite-amateur, chassé par la rafale...
Il avait trop aimé les beaux pays malsains.
Condamné des huissiers, comme des médecins,
Il avait posé là, soûl et cherchant sa place
Pour mourir seul ou pour vivre par contumace...
 
              Faisant, d’un à-peu-près d’artiste,
              Un philosophe d’à peu près,
              Râleur de soleil ou de frais,
              En dehors de l’humaine piste.
 
Il lui restait encore un hamac, une vielle,
Un barbet qui dormait sous le nom de Fidèle ;
Non moins fidèle était, triste et doux comme lui,
Un autre compagnon qui s’appelait l’Ennui.
 
Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve.
Son rêve était le flot qui montait sur la grève,
              Le flot qui descendait ;
Quelquefois, vaguement, il se prenait attendre...
Attendre quoi... le flot monter – le flot descendre –
              Ou l’Absente... Qui sait ?
 
Le sait-il bien lui-même ?... Au vent de sa guérite,
A-t-il donc oublié comme les morts vont vite,
Lui, ce viveur vécu, revenant égaré,
Cherche-t-il son follet, à lui, mal enterré ?
 
–Certe, Elle n’est pas loin, celle après qui tu brâmes,
Ô Cerf de Saint Hubert ! Mais ton front est sans flammes...
N’apparais pas, mon vieux, triste et faux déterré...
Fais le mort si tu peux... Car Elle t’a pleuré !
 
–Est-ce qu’il pouvait, Lui !... n’était-il pas poète...
Immortel comme un autre ?... Et dans sa pauvre tête
Déménagée, encor il sentait que les vers
Hexamètres faisaient les cent pas de travers.
–Manque de savoir-vivre extrême – il survivait –
Et – manque de savoir-mourir – il écrivait :
 
« C’est un être passé de cent lunes, ma Chère,
En ton cœur poétique, à l’état légendaire.
Je rime, donc je vis... ne crains pas, c’est à blanc.
–Une coquille d’huître en rupture de banc ! –
Oui, j’ai beau me palper : c’est moi ! – Dernière faute –
En route pour les cieux – car ma niche est si haute ! –
Je me suis demandé, prêt à prendre l’essor :
Tête ou pile... – Et voilà – je me demande encor... »
 
« C’est à toi que je fis mes adieux à la vie,
À toi qui me pleuras, jusqu’à me faire envie
De rester me pleurer avec toi. Maintenant
C’est joué, je ne suis qu’un gâteux revenant,
En os et... (j’allais dire en chair). – La chose est sûre
C’est bien moi, je suis là – mais comme une rature. »
 
« Nous étions amateurs de curiosité :
Viens voir le Bibelot. – Moi j’en suis dégoûté. –
Dans mes dégoûts surtout, j’ai des goûts élégants ;
Tu sais : j’avais lâché la Vie avec des gants ;
L’Autre n’est pas même à prendre avec des pincettes...
Je cherche au mannequin de nouvelles toilettes. »
« Reviens m’aider : Tes yeux dans ces yeux-là ! Ta lèvre
Sur cette lèvre !... Et, là, ne sens-tu pas ma fièvre
–Ma fièvre de Toi ?... – Sous l’orbe est-il passé
L’arc-en-ciel au charbon par nos nuits laissé ?
Et cette étoile ?... – Oh ! va, ne cherche plus l’étoile
              Que tu voulais voir à mon front ;
              Une araignée a fait sa toile,
              Au même endroit – dans le plafond. »
 
« Je suis un étranger. – Cela vaut mieux peut-être...
–Eh bien ! non, viens encor un peu me reconnaître ;
Comme au bon saint Thomas, je veux te voir la foi,
Je veux te voir toucher la plaie et dire : – Toi ! –
 
« Viens encor me finir – c’est très gai : De ta chambre,
Tu verras mes moissons – Nous sommes en décembre –
Mes grands bois de sapin, les fleurs d’or des genêts,
Mes bruyères d’Armor... – en tas sur les chenets.
Viens te gorger d’air pur – Ici j’ai de la brise
Si franche !... que le bout de ma toiture en frise.
Le soleil est si doux... – qu’il gèle tout le temps.
Le printemps... – Le printemps n’est-ce pas tes vingt ans.
On n’attend plus que toi, vois : déjà l’hirondelle
Se pose... en fer rouillé, clouée à ma tourelle. –
Et bientôt nous pourrons cueillir le champignon...
Dans mon escalier que dore... un lumignon.
Dans le mur qui verdoie existe une pervenche
Sèche. –... Et puis nous irons à l’eau faire la planche
–Planches d’épave au sec – comme moi – sur ces plages.
La Mer roucoule sa Berceuse pour naufrages ;
Barcarolle du soir... pour les canards sauvages. »
 
« En Paul et Virginie, et virginaux – veux-tu –
Nous nous mettrons au vert du paradis perdu...
Ou Robinson avec Vendredi – c’est facile –
La pluie a déjà fait, de mon royaume, une île. »
 
« Si pourtant, près de moi, tu crains la solitude,
Nous avons des amis, sans fard – Un braconnier ;
Sans compter un caban bleu qui, par habitude,
Fait toujours les cent-pas et contient un douanier...
Plus de clercs d’huissier ! J’ai le clair de la lune,
Et des amis pierrots amoureux sans fortune. »
 
– « Et nos nuits !... Belles nuits pour l’orgie à la tour !...
Nuits à la Roméo ! – Jamais il ne fait jour. –
La Nature au réveil – réveil de déchaînée –
Secouant son drap blanc... éteint ma cheminée.
Voici mes rossignols... rossignols d’ouragans –
Gais comme des poinçons – sanglots de chats-huants !
Ma girouette dérouille en haut sa tyrolienne
Et l’on entend gémir ma porte éolienne,
Comme chez saint Antoine en sa tentation...
Oh viens ! joli Suppôt de la séduction ! »
 
– « Hop ! les rats du grenier dansent des farandoles !
Les ardoises du toit roulent en castagnoles !
Les Folles-du-logis...
                                Non, je n’ai plus de Folles ! »
 
... « Comme je revendrais ma dépouille à Satan
S’il me tentait avec un petit Revenant...
–Toi – Je te vois partout, mais comme un voyant blême,
Je t’adore... Et c’est pauvre : adorer ce qu’on aime !
Apparais, un poignard dans le cœur ! – Ce sera,
Tu sais bien, comme dans Iñès de La Sierra...
–On frappe... oh ! c’est quelqu’un...
                                              Hélas ! oui, c’est un rat. »
 
– « Je rêvasse... et toujours c’est Toi. Sur toute chose,
Comme un esprit follet, ton souvenir se pose :
Ma solitude – Toi ! – Mes hiboux à l’œil d’or :
–Toi ! – Ma girouette folle : Oh Toi !... – Que sais-je encor...
–Toi : mes volets ouvrant les bras dans la tempête...
Une lointaine voix : c’est Ta chanson ! – c’est fête !...
Les rafales fouaillant Ton nom perdu – c’est bête –
C’est bête, mais c’est Toi ! Mon cœur au grand ouvert
Comme mes volets en pantenne,
Bat, tout affolé sous l’haleine
Des plus bizarres courants d’air. »
 
« Tiens... une ombre portée, un instant, est venue
Dessiner ton profil sur la muraille nue,
Et j’ai tourné la tête... – Espoir ou souvenir –
Ma sœur Anne, à la tour, voyez-vous pas venir ?... »
 
–Rien ! – je vois... je vois, dans ma froide chambrette,
Mon lit capitonné de satin de brouette ;
Et mon chien qui dort dessus – Pauvre animal –
... Et je ris... parce que ça me fait un peu mal. »
 
« J’ai pris, pour t’appeler, ma vielle et ma lyre.
Mon cœur fait de l’esprit – le sot – pour se leurrer...
Viens pleurer, si mes vers ont pu te faire rire ;
              Viens rire, s’ils t’ont fait pleurer.... »
 
« Ce sera drôle... Viens jouer à la misère,
D’après nature : – Un cœur avec une chaumière. –
... Il pleut dans mon foyer, il pleut dans mon cœur feu.
Viens ! Ma chandelle est morte et je n’ai plus de feu... »
 
 
                               *
 
 
Sa lampe se mourait. Il ouvrit la fenêtre.
Le soleil se levait. Il regarda sa lettre,
Rit et la déchira... Les petits morceaux blancs,
Dans la brume, semblaient un vol de goëlands.
 
                                     Penmarc’h – jour de Noël.
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