Tristan Corbière

Elizir d’Amor

Tu ne me veux pas en rêve,
Tu m’auras en cauchemar !
T’écorchant au vif, sans trêve,
–Pour moi... pour l’amour de l’art.
 
–Ouvre : je passerai vite,
Les nuits sont courtes, l’été...
Mais ma musique est maudite,
Maudite en l’éternité !
 
J’assourdirai les recluses,
Éreintant à coups de pieux,
Les Neuf et les autres Muses...
Et qui n’en iront que mieux !...
 
Répéterai tous mes rôles
Borgnes – et d’aveugle aussi...
D’ordinaire tous ces drôles
Ont assez bon oeil ici :
 
– À genoux, haut Cavalier,
À pied, traînant ma rapière,
Je baise dans la poussière
Les traces de Ton soulier !
 
–Je viens, Pèlerin austère,
Capucin et Troubadour,
Dire mon bout de rosaire
Sur la viole d’amour.
 
–Bachelier de Salamanque,
Le plus simple et le dernier...
Ce fonds jamais ne me manque :
–Tout voeux ! et pas un denier ! –
 
–Retapeur de casseroles,
Sale Gitan vagabond,
Je claque des castagnoles
Et chatouille le jambon...
 
–Pas-de-loup, loup sur la face,
Moi chien-loup maraudeur,
J’erre en offrant de ma race :
–Pur-Don-Juan-du-Commandeur. –
 
Maîtresse peut me connaître,
Chien parmi les chiens perdus :
Abeilard n’est pas mon maître,
Alcibiade non plus !
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