Théodore de Banville

Dans le vieux cimetière.

Dans le vieux cimetière, où cette chaude pluie
           Sur l’aubépine en fleurs
A versé, dans un flot que le soleil essuie,
           Des parfums et des pleurs ;
 
Au coucher du soleil, dans le vieux cimetière
           Où, sur chaque tombeau,
Des bouquets de rayons empourprent l’humble pierre,
           Entrons, il y fait beau !
 
Le ciel, bariolé par la métamorphose
           De son limpide azur,
Borde joyeusement d’écume grise et rose
           Son grand lac d’un bleu pur.
 
Puisqu’ils vivent encor dans ces riants calices
           De soleil amoureux,
Les morts qui sont couchés dans ce lieu de délices,
           Ils doivent être heureux !
 
Leur âme nous parfume, et la grande Nature,
           Si pleine de raison,
A fait avec leurs corps tombés en pourriture
           Sa belle floraison.
 
Oui, c’est d’eux que nous vient cette ombre douce et triste ;
           Et ce sont eux encor
Ces bouquets de corail, ces thyrses d’améthyste,
           Ces riches grappes d’or !
 
Ce sont eux ces rosiers aux mille roses blanches
           Et ces amaryllis,
Et ce bleuet céleste et ces tendres pervenches,
           Et ce sont eux ces lys !
 
De même la Nature, avec mélancolie,
           Jusqu’au matin vermeil
Laisse la vaine cendre en nous ensevelie
           Pourrir loin du soleil ;
 
Haine, douleur, néant de la gloire et du crime,
           Illusion d’un jour ;
Et, baignant de rayons tout ce fumier sublime,
           Elle en fait de l’amour !

Les Stalactites (1846)

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