Sully Prudhomme

Le nom

Chacun donne à celle qu’il aime
Les plus beaux noms et les plus doux ;
Pour moi, c’est ton nom de baptême
Que je préfère encore à tous.
 
Simple et tendre à dire, il me semble
Pour te désigner le seul bon,
Et toutes les douceurs ensemble,
Je te les murmure en ce nom.
 
La mélodie en est divine ;
Tu sais le contre-coup soudain
Qu’on sent au creux de la poitrine
Quand la main rencontre la main ;
 
Hé bien ! Je sens, quand il résonne
Au milieu d’un monde étranger,
Comme au toucher de ta personne,
Cet étouffement passager.
 
Toute autre femme qui le signe
L’usurpe à mes yeux, et pourtant,
Si peu qu’elle m’en semble digne,
Elle m’attire en le portant ;
 
Pour moi ton image s’y lie
Et prête son reflet trompeur
À ton homonyme embellie ;
Je crois l’aimer, mais sois sans peur :
 
Je ne pourrais t’être infidèle
Avec des femmes de ce nom,
Car ta grâce en mon cœur s’y mêle,
Grâce inséparable d’un son ;
 
Et quel autre nom de maîtresse
Effacerait ce mot vivant
Dont la musique enchanteresse
Me fait redevenir enfant ?
 
Comme les passereaux accourent
À l’appel câlin du charmeur,
À ce nom bien-aimé m’entourent
Mes premiers rêves de bonheur ;
 
Et dans l’âge où l’amour se sèvre,
En deuil des printemps révolus,
J’aurai sa caresse à la lèvre
Quand les baisers n’y seront plus.

Les vaines tendresses (1875)

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