Sully Prudhomme

Éclaircie

Quand on est sous l’enchantement
D’une faveur d’amour nouvelle,
On s’en défendrait vainement,
             Tout le révèle :
 
Comme fuit l’or entre les doigts,
Le trop-plein de bonheur qu’on sème,
Par le regard, le pas, la voix,
             Crie : elle m’aime !
 
Quelque chose d’aérien
Allège et soulève la vie,
Plus rien ne fait peine, et plus rien
             Ne fait envie :
 
Les choses ont des airs contents,
On marche au hasard, l’âme en joie,
Et le visage en même temps
             Rit et larmoie ;
 
On s’oublie, aux yeux étonnés
Des enfants et des philosophes,
En grands gestes désordonnés,
             En apostrophes !
 
La vie est bonne, on la bénit,
On rend justice à la nature !
Jusqu’au rêve de faire un nid
             L’on s’aventure...

Les vaines tendresses (1875)

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