Stéphane Mallarmé

À un poète immoral

Puisque ce soir, onze décembre
Mil huit cent soixante-un, je n’ai
Qu’à rouler le chapelet d’ambre
D’un rêve cent fois égrené,
 
Les pieds au feu, sans que m’égare
Quelque bonnet blanc inconstant,
Je vais avec ce blond cigare
Allumer ma verve un instant.
 
Et, tant que sa lueur vermeille
Égaiera l’ombre, te rimer
Une préface où l’on sommeille,
Moi, qui songe à les supprimer !
 
Si l’odelette parfumée
Ne survit au manille, sois
Franc, c’est qu’hélas ! Tout est fumée,
Tabac d’Espagne et vers françois.
 
Tout !... jusqu’au vieil épithalame
De la folie et des vingt ans,
Car par la ville plus d’un blâme
Ta gaîté qui sent le printemps,
 
Plus d’un dans sa vertu ridée
Se drape et t’appelle immoral,
Toi, qui n’as pas même l’idée
D’un prospectus électoral !
 
Laisse chanter, ô cher bohème,
Leur chanson à tous ces pervers
Si pervers que pas un d’eux n’aime
Et que pas un ne fait de vers !
 
Tu ne rêves pas pour ta prose
De ruban rouge où pend la croix,
Et préfères la gance rose
D’un corset délacé, je crois ?
 
Tel le sage. Il fait à la pomme
Mordre quelque Ève au fond des bois
Et baise ses cils dorés comme
Le thé qu’en t’écrivant je bois.
 
Watteau, fier de ta comédie
Qui sert aux sots d’épouvantail
À Terpsichore la dédie
Peinte sur un fol éventail ;
 
Bruns aegipans, noirs scaramouches
Au parc rêveur l’éventeront
La nommant déesse aux trois mouches,
Marquise ayant un astre au front !

Poèmes de jeunesse

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