Robert Desnos

Sirène-anémone

Qui donc pourrait me voir
Moi la flamme étrangère
L’anémone du soir
Fleurit sous me3 fougères
 
O fougères mes mains
Hors l’armure brisée
Sur le bord des chemins
En ordre sont dressées
 
Et la nuit s’exagère
Au brasier de la rouille
Tandis que les fougères
Vont aux écrins de houille
 
L’anémone des deux
Fleurit sur mes parterres
Fleurit encore aux yeux
A l’ombre des paupières
 
Anémone des nuits
Qui plonge ses racines
Dans l’eau creuse des puits
Aux ténèbres des mines
 
Poseraient-Os leurs pieds
Sur le chemin sonore
Où se niche l’acier
Aux ailes de phosphore
 
Verraient-ils les mineurs
Constellés d’anthracite
Paraître l’astre en fleur
Dans un ciel en faillite
 
En cet astre qui luit
S’incarne la sirène
L’anémone des nuits
Fleurit sur son domaine
 
Alors que s’ébranlaient avec des cris d’orage
Les puissances
Vertige au verger des éclairs
La sirène dardée à la proue d’un sillage
Vers la lune chanta la romance de fer
 
Sa nage déchirait l’hermine des marées
Et la comète errant rouge sur un ciel noir
Paraissait par mirage aux étoiles ancrées
L anémone fleurie aux jardins des miroirs
 
Et parallèlement la double chevelure
Rayait de feu le ciel et d’écume les eaux
Fougères surgissez hors de la déchirure
Par où l’acier saigna sur le fil des roseauxNulle armure jamais ne valut votre angoisse
Fougères pourrissant parmi nos souvenirs
Mais vous charbonnerez longtemps sous nos cuirasse »
Avant la flamme où se cabrant pour mieux hennir
 
Le cheval vieux cheval de retour et de rêve
Vers les champs clos emportera nos ossements
Avant l’onde roulant notre cœur sur la grève
Où la sirène dort sous un soleil clément
 
L’anémone fleurit partout sous les carènes
Déchirées aux récifs dans l’herbe des forêts
Dans le tain des miroirs sur les parquets d’ébène
Et surtout dans nos cœurs palpitant sans arrêt
 
C’est le joyau serti an vif des nébuleuses
L’orgueil des voies lactées et des constellations
La prunelle qui met au regard des plus gueuses
Le diamant de fureur et de consolation
 
Heureuse de nager loin des hauts promontoires
Parmi les escadrons de requins fraternels
La sirène aux seins durs connaît maintes histoires
Et l’accès des trésors à l’ombre des tunnels
 
Mais ni l’or reluisant dans les fosses marines
Ni les clefs retrouvées des légendes du port
Ne la charment autant que d’ouvrir les narines
Aux vents salés plus lourds des parfums de la mort
C’était par un soir de printemps d’une des années perdues à l’amour
D’une des années gagnées à l’amour pour jamais
 
Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoile]
devenues comètes tombaient vers la terre
La plus belle et la plus fatale la comète de destin dJ
larmes et d’éternels égarements
S’éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer
Tu naquis de ce mirage
 
Mais tu t’éloignas avec la comète et ta chanson s’éteignit parmi les échos
Devait-elle ta chanson s’éteindre pour jamais
Est-elle morte et dois-je la chercher dans le chœur
tumultueux des vagues qui se brisent
Ou bien renaîtra-t-elle du fond des échos et des embruns
Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces
Surgiras-tu mirage de chair et d’os hors de ton désert [ de ténèbres.
 
Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de granit
Où détachée du ciel une chevelure rayonnante s’abattit sur tes épaules
Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière
Ce n’est pas en vain que tremblent dans la nuit les robes de soie
Elles échouent sur les rivages venant des profondeurs
Vestiges d’amours et de naufrages où l’anémone refuse de s’effeuiller.
 
De céder à la volonté des flots et des destins végétaux
A petits pas la solitaire gagne alors un refuge de haut
parage
Et dit qu’il est mille regrets â l’horloge
Non ce n’est pas en vain que palpitent ces robes mouillées
Le sel s’y cristallise en fleurs de givre
Vidées des corps des amoureuses
Et des mains qui les enlaçaient
 
Elles s’enfuient des gouffres tubéreuses
Laissant aux mains malhabiles qui les laçaient
Les cuirasses d’ader et les corsets de satin
N’ont-elles pas senti la rayonnante chevelure d’astres
Qui par une nuit de rosée tomba en cataractes sur tes
 
épaules
Je l’ai vue tomber
Tu te transfiguras
Reviendras-tu jamais des ténèbres
Nue et plus triomphante au retour de ton voyage
Que l’enveloppe scellée par cinq plaies de cire sanglante 0 les mille regrets n’en finiront jamais
D’occuper cette horloge dans la clairière voisine
Tes cheveux de sargasse se perdent
Dans la plaine immense des rendez-vous manques
 
Sans bruit au port désert arrivent les rameurs
Qui donc pourrait te voir toi l’amante et la mère
Incliner à minuit sur le front du dormeur
L’anémone du soir fleurie sous tes paupières
 
Baiser sa bouche dose et baiser ses yeux dos
Incliner sur son front l’immense chevdure
Bérénice de l’ombre ah ! retourne à tes flots
Sirène avant que l’aube ouvre ses déchirures
 
Une steppe naîtra de l’écume atlantique
Du clair de lune et de la neige et du charbon
Où nous emportera la licorne magique
Vers l’anémone édose au sein des tourbillons
 
Tempête de suie nuage en forme de cheval
Ah malheur !
Sacré nom de
Dieu !
La nuit naufrage
La nuit ?
Voici sonner les grelots !
Carnaval
Ferme l’œil !
En vérité le bel équipage
 
Et dans ce ciel suitant des barriques des docks –Soudain brusquement s’interrompent les rafales
Quand la sirène avec l’aurore atteint les rocs
L’anémone du ciel est la fleur triomphale
 
Cest elle qui dressée au-dessus des volcans
Jette une lueur blafarde à travers la campagne
C’est l’aile du vautour le cri du pélican
C’est le plan d’évasion qui fait sortir du bagne
 
C’est le reflet qui tremble aux vitres des maisons
Le sang coagulé sur les draps mortuaires
C’est un voile de deuil pourri sur le gazon
C’est la robe de bal découpée dans un suaire
 
C’est l’anathème et c’est l’insulte et le juron
C’est le tombeau violé les morts à la voirie
La vérole promise à trois générations
Et c’est le vitriol jeté sur les soieries
 
C’est le bordel du
Christ le tonnerre de
Brest
C’est le crachat le geste obscène vers la vierge
C’est un peuple nouveau apparaissant à l’est
C’est le poignard c’est le poison ce sont les verges
Cest l’inverti qui se soumet et s’agenouille
Le masochiste qui se livre au martinet
 
Le scatophage hideux au masque de gargouille
Et la putain furonculeuse aux yeux punais
C’est l’étreinte écœurante avec la femme à barbe
C’est le ciel reflété par un œil de lépreux
C’est le châtré qui se dénude sous les arbres
Et l’amateur d’urine au sourire visqueux
 
C’est l’empire des sens anémone l’ivresse
Et le sulfure et la saveur d’un sang chéri
La légitimité de toutes les caresses
Et la mort délicieuse entre des bras flétris
 
Pluie d’étoiles tombez parmi les chevelures
Je veux un ciel tout nu sur un globe désert
Où des brouillards mettront une robe de bure-Aux mortes adorées pourrissant hors de terre
Adieu déjà parmi les heures de porcelaine
Regardez le jour noircit au feu qui s’allume dans
Pâtre
Regardez encore s’éloigner les herbes vivantes
Et les femmes effeuillant la marguerite du silence
Adieu dans la boue noire des gares
Dans les empreintes des mains sur les murs
 
Chaque fois qu’une marche d’escalier s’écroule un
timide enfant parait à la fenêtre mansardée
Ce n’est plus dit-il le temps des parcs feuillus
J’écrase sans cesse des larves sous mes pas
Adieu dans le claquement des voiles
Adieu dans le bruit monotone des moteurs
Adieu ô papillons écrasés dans les portes
Adieu vêtements souillés par les jours à trotte-menu
 
Perdus à jamais dans les ombres des corridors
Nous t’appelons du fond des échos de la terre
Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d’or
Et que brisé en mille volutes de mercure
Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes
L’amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures
Et cire l’escalier de la sinistre descente
Abîme nous t’appelons du fond des échos de la terre
Maîtresse généreuse de la lumière de l’or et de la chute
Dans l’écume de la mort et celle des
Finistères
 
Balançant le corps souple des amoureuses
Dans les courants marqués d’initiales illisibles
Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle
Ange d’anthracite et de bitume
Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes
Eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et
des rosées
Créature sanglante et végétale des marées
Da marteau sur l’enclume au couteau de l’assassin
Tout ce que tu brises est étoile et diamant
Ange d’anthracite et de bitume
Éclat du noir orfraie des vitrines
Des fumées lourdes te pavoisent quand tu poses les pieds
 
Sur les cristaux de neige qui recouvrent les toits
Haletants de mille journaux flambant après une nuit
d’encre fraîche
Les grands mannequins écorchés par l’orage
Nous montrent ce chemin par où nul n’est venu
 
Où donc est l’oreiller pour mon front fatigué
Où donc sont les baisers où donc sont les caresses
Pour consoler un cœur qui s’est trop prodigué
Où donc est mon enfant ma fleur et ma détresse
 
Me pardonnant si des brouillards bandent mes yeux
Si j’ai
Pair d’être ailleurs si j’ai
Pair d’être un autre
Me pardonnant de croire au noir au merveilleux
D’avoir des souvenirs qui ne soient pas les nôtres
 
Pardonnant mon passé mon cœur mes cicatrices
D’avoir parcouru seul d’émouvantes contrées
D’avoir été tenté par des voix tentatrices
Et de ne pas l’avoir plus vite rencontrée
 
Saurait-elle oublier mes rêves d’autrefois
Les fortunes perdues et les larmes versées
L’étoile sans merci brillant au fond des bois
Et les désirs meurtris en des nuits insensées
 
Et ces phrases tordues comme notre amour même
Et que je murmurais lorsque minuit blafard
Posait ses maigres doigts sur des visages blêmes
Séchant les yeux mouillés et barbouillant les fards
 
Dans ces temps-là le ciel était lourd de ténèbres
Le sonore minuit conduisait vers mon lit
Des visiteuses sans pitié et plus funèbre
Que la mort l’anémone évoquait la folie
Les fleurs qui s’effeuillaient sur les fruits de l’automne
Laissèrent leurs parfums aux fleurs des compotiers
 
Et sur le fût tronqué des anciennes colonnes
Le sel des vents marins mit des lueurs de glaciers
Et longtemps ces parfums orgueil des porcelaines
Flotteront dans la paix des salles à manger
Et les cristaux de sel brilleront dans la laine
Des grands manteaux flottants que portent les bergers
 
Mes baisers rejoindront les larmes qui vont naître
Ils rejoindront la solitude sans pitié
Les vents marins soufflant sur les chaumes sans maîtres
Et les parfums mourants au fond des compotiers
 
Je suis marqué par mes amours et pour la vie
Comme un cheval sauvage échappé aux gauchos
Qui retrouvant la liberté de la prairie
Montre aux juments ses poils brûlés par le fer chaud
 
Tandis qu’au large avec de grands gestes virils
La sirène chantant vers un ciel de carbone
Au milieu des récifs éventreurs de barils
Au cœur des tourbillons fait surgir l’anémone.
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