Robert Desnos

Banquet

La côte se découpe en golfes où l’écho
Sonne, comme une trompe, aux murs de
Jéricho,
Un
Jéricho de brume et flexible comme elle,
La mer y gonfle en vain ses chants et ses querelles.
Dans un de ces abris est servi le banquet
Pour douze garçons nus qui n’ont d’autre projet
Que de boire les vins au goulot des bouteilles,
Mordre aux quartiers de viande et vider les corbeilles,
Faire sécher leur corps au soleil de midi,
Chanter et puis dormir sur le sable tiédi.
Le sable, que le vent soulève et qu’il égraine,
Fait murmurer parfois les plats de porcelaine
Et le cristal où tremble une goutte de vin
Qui reflète le ciel et les doigts de la main.
Mais le sang apparaît aux bords d’une blessure
Lorsque le maladroit, d’une lame peu sûre,
Se coupe en entamant le jambon.
Un rideau
Rouge flotte soudain, claquant comme un drapeau.
Il vacille et ses plis balaient le paysage.
La mer, qui le répète agite son image
Et celle d’un bateau, toutes voiles dehors,
Qui figure une rose en un coin du décor.
Il aimerait, dit-il, que des lèvres plus tendres
Qcatrisent la plaie et, quitte pour répandre
Plus longuement son sang, à rendre ce baiser
Au monstre imaginaire en son coeur précisé.
N’entend-il pas des cris du haut de la falaise ?
Son sang n’explique pas l’insolite malaise
 
Qui transforme la terre et lui fait souhaiter
Le silence et la nuit et la mort de l’été.
U se lève et, fuyant ses onze camarades,
Disparaît au tournant des rochers de la rade.
Onze verres, levés au ciel par onze mains,
D’une courbe identique ont renversé le vin
Dans des gorges, au chant prêtes, mais, vers la route
Indiquée, un regard s’alanguit et, sans doute,
Un convive bientôt quittera le banquet.
Il est une prairie où cueillir des bouquets,
Il est une forêt, derrière le rivage,
Et des sources d’eau fraîche où baigner les visages
Et le monde habité, ses villes, ses appels.
Qu’ils boivent !
Le temps passe et dépose son sel
Sur les jours, sur les cœurs, les lèvres et les rêves.
Pourtant la vie est là, pourtant la vie est brève,
Qu’ils boivent !
L’horizon se dénoue à l’entour,
L’heure vient, pour chacun, de partir à son tour.
C’est midi, tout sanglant, gisant dans sa tunique,
Sur le bûcher qu’il alluma.
Heure panique,
Il faut choisir, il faut, vers le soir progresser
Ou vieillir en tentant d’évoquer le passé.
C’est midi.
Dans le ciel claque une draperie
Rouge et le monde est plein d’amour et de féerie.
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