Par le travers de la gueule
Ramassée dans la boue et la gadoue
Crachée, vomie, rejetée—
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître—
Déchet, rebut, ordures
Comme le diamant, la flamme et le bleu de ciel
Pas pure, pas vierge.
Mais baisée dans tous les coins
baisée enfilée sucée enculée violée
Je buis le vers témoin du souffle de mon maître
Baiseuse et violatrice
Pas pucelle
Rien de plus sale qu’un pucelage
Ouf ! ça y est on en sort
Bonne terre boueuse où je mets le pied
Je suis pour le vent le grand vent et la mer
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
Ça craque ça pète ça chante ça ronfle
Grand vent tempête cœur du monde
Il n’y a plus de sale temps
J’aime tous les temps j’aime le temps
J’aime le grand vent
Le grand vent la pluie les cris la neige le soleil le feu et
tout ce qui est de la terre boueuse ou sèche
Et que ça croule !
Et que ça pourrisse
Pourrissez vieille chair vieux os
Par le travers de la gueule
Et que ça casse les dents et que ça fasse saigner les gencives
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
L’eau coule avec son absurde chant de colibris
de rossignol et d’alcool brûlant dans une casserole
coule le long de mon corps
Un champignon pourrit au coin de la forêt ténébreuse
dans laquelle s’égare et patauge pieds nus une femme
du tonnerre de dieu Ça pourrit dur au pied des chênes
Une médaille d’or n’y résiste pas
C’est mou
C’est profond Ça cède.
Ça pourrit dur au pied des chênes
Une lune d’il y a pas mal de temps
Se reflète dans cette pourriture
Odeur de mort odeur de vie odeur d’étreinte
De cocasses créatures d’ombre doivent se rouler et se combattre et s’embrasser ici Ça pourrit dur au pied des chênes
Et ça souffle encore plus dur au sommet
Nids secoués et les fameux colibris de tout à l’heure
Précipités
Rossignols époumonés
Feuillage des forêts immenses et palpitantes.
Souillé et froissé comme du papier à chiottes
Marées tumultueuses et montantes du sommet
des forêts vos vagues attirent vers le ciel
les collines dodues dans une écume
de clairières et de pâturages veinée de
fleuves et de minerais
Enfin le voilà qui sort de sa bauge
L’écorché sanglant qui chante avec sa gorge à vif
Pas d’ongles au bout de ses doigts
Orphée qu’on l’appelle
Baiseur à froid confident des
Sibylles
Bacchus châtré délirant et clairvoyant
Jadis homme de bonne terre issu de bonne graine par
bon vent
Parle saigne et crève
Dents brisées reins fêles, artères nouées
Cœur de rien
Tandis que le fleuve coule roule et saoule de grotesques épaves de péniches d’où coule du charbon
Gagne la plaine et gagne la mer Écume roule et s’use
Sur le sable le sel et le corail
J’entrerai dans tes vagues
A la suite du fleuve épuisé
Gare à tes flottes !
Gare à tes coraux, à ton sable, à ton sel à tes festins
Sorti des murailles à mots de passe
Par le travers des gueules
Par le travers des dents
Beau temps
Pour les hommes dignes de ce nom
Beau temps pour les fleuves et les arbres
Beau temps pour la mer
Restent l’écume et la boue
Et la joie de vivre
Et une main dans la mienne
Et la joie de vivre
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître