Paul Verlaine

L’impénitent

 
Rôdeur vanné, ton œil fané
Tout plein d’un désir satané
Mais qui n’est pas l’œil d’un bélître,
Quand passe quelqu’un de gentil
Lance un éclair comme une vitre.
 
Ton blaire flaire, âpre et subtil,
Et l’étamine et le pistil,
Toute fleur, tout fruit, toute viande,
Et ta langue d’homme entendu
Pourlèche ta lèvre friande.
 
Vieux faune en l’air guettant ton dû,
As-tu vraiment bandé, tendu
L’arme assez de tes paillardises ?
L’as-tu, drôle, braquée assez ?
Ce n’est rien que tu nous le dises.
 
Quoi, malgré ces reins fricassés,
Ce cœur éreinté, tu ne sais
Que dévouer à la luxure
Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,
Ta rate et toute ta fressure !
 
Sucrés et doux comme le miel,
Damnants comme le feu du ciel,
Bleus comme fleur, noirs comme poudre,
Tu raffoles beaucoup des yeux
De tout genre en dépit du Foudre.
 
Les nez te plaisent, gracieux
Ou simplement malicieux,
Étant la force des visages,
Étant aussi, suivant des gens,
Des indices et des présages.
 
Longs baisers plus clairs que des chants,
Tout petits baisers astringents
Qu’on dirait qui vous sucent l’âme,
Bons gros baisers d’enfant, légers
Baisers danseurs, telle une flamme,
 
Baisers mangeurs, baisers mangés,
Baisers buveurs, bus, enragés,
Baisers languides et farouches,
Ce que t’aimes bien, c’est surtout,
N’est-ce pas ? les belles boubouches.
 
Les corps enfin sont de ton goût,
Mieux pourtant couchés que debout,
Se mouvant sur place qu’en marche,
Mais de n’importe quel climat,
Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l’Arche.
 
Pour que ce goût les acclamât
Minces, grands, d’aspect plutôt mat,
Faudrait pourtant du jeune en somme :
Pieds fins et forts, tout légers bras
Musculeux et les cheveux comme
 
Ça tombe, longs, bouclés ou ras,—
Sinon pervers et scélérats
Tout à fait, un peu d’innocence
En moins, pour toi sauver, du moins,
Quelque ombre encore de décence ?
 
Nenni dà ! Vous, soyez témoins,
Dieux la connaissant dans les coins,
Que ces manières, de parts telles,
Sont pour s’amuser mieux au fond
Sans trop muser aux bagatelles.
 
C’est ainsi que les choses vont
Et que les raillards fieffés font.
Mais tu te ris de ces morales,—
Tel un quelqu’un plus que pressé
Passe outre aux défenses murales.
 
Et tu réponds, un peu lassé
De te voir ainsi relancé,
De ta voix que la soif dégrade
Mais qui n’est pas d’un marmiteux :
« Qu’y peux-tu faire, camarade,
 
Si nous sommes cet amiteux ? »

"Parallèlement (1889)"

#ÉcrivainsFrançais

Altre opere di Paul Verlaine...



Alto