Paul Éluard

Un seul être

I
 
A fait fondre la neige pure,
A fait naître des fleurs dans l’herbe
Et le soleil est délivré.
 
Ô fille des saisons variées,
Tes pieds m’attachent à la terre
Et je l’aime toute l’année.
 
Notre amour rit de ce printemps
Comme de toute sa beauté,
Comme de toute sa bonté.
 
II
 
Flûte et violon,
Le rythme d’une chanson claire
Enlève nos deux cœurs pareils
Et les mouettes de la mer.
 
Oublie nos gestes séparés,
Le rire des sons s’éparpille,
Notre rêve est réalisé.
 
Nous possèderons l’horizon,
La bonne terre qui nous porte
Et l’espace frais et profond,
Flûte et violon.
 
III
 
Que te dire encore, amie ?
Le matin, dans le jardin,
Le rossignol avale la fraîcheur,
Le jour s’installe en nous
Et nous va jusqu’au cœur.
 
Le jour s’installe en nous.
Et tous les matins, cherchant le soleil
L’oiseau s’engourdit sur les branches fines.
Et fuyant le travail, nous allons au soleil
Avec des yeux contents et des membres légers.
 
Tu connais le retour, amie,
C’est entre nous que l’oiseau chante,
Le ciel s’orne de son vol,
Le ciel devenu sombre
Et la verdure sombre.
 
IV
 
La mer toute entière rayonne,
La mer tout entière abandonne
La terre et son obscur fardeau.
 
Rêve d’un monde disparu
Dont tu conserves la vertu
Ou rêve plutôt
 
Que tu m’as gardé sur les flots
Que la lumière... Et sous le soleil
Le vent qui s’en va de la terre immense.
 
1917

"Premiers Poèmes"

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