Maurice Rollinat

Solitude

Les choses formant d’habitude
Au plus fauve endroit leur tableau :
Les rochers, les arbres et l’eau,
Manquent à cette solitude.
 
D’un gris fané de vieille laine,
De couleur verte dénué
Et de partout continué
Par l’indéfini de la plaine,
 
Tel ce champ étend sa tristesse,
Sans un genêt, sans un chardon,
La ronce, indice d’abandon,
N’étant pas même son hôtesse.
 
Le ciel blanc, comme un morne dôme,
Tout bombé sur son terrain plat,
Raye d’un éclair çà et là
La lividité de son chaume.
 
On dirait une espèce d’île
Au milieu d’océans caillés,
Tant les quatre horizons noyés
Ont un enlacement tranquille !
 
Le spectre ici ? Ce serait l’être
Dont on guette venir le pas,
Le quelqu’un que l’on ne voit pas
Mais qui pourrait bien apparaître.
 
En ce lieu d’atmosphère lourde,
Où couve un malaise orageux,
Il souffle un frais marécageux
D’odeur cadavéreuse et sourde.
 
Pas un frisson, pas une pause
Du silence et du figement !
La pleine mort, totalement,
En a fait sa lugubre chose.
 
Mais ce qui, surtout, de la terre
Monte, funèbre, avec la nuit,
C’est l’effroi, la stupeur, l’ennui
De l’éternité solitaire.
 
On voit à cette heure émouvante,
D’aspect encor plus solennel,
Ce champ et ce morceau de ciel
Communier en épouvante.
 
L’espace devant l’œil dévide
Son interminable lointain
Emplissant le jour incertain
De son vague absolument vide.
 
Malgré l’amas de la tempête
D’un poids noir et toujours croissant,
Ici, le vent même est absent
Comme la personne et la bête.
 
L’ombre vient... l’horreur est si grande
Que je quitte ce désert nu,
M’y sentant presque devenu
Le fantôme que j’appréhende !...

Paysages et paysans (1899)

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