Maurice Rollinat

Les genêts

Ce frais matin tout à fait sobre
De vent froid, de nuage errant,
Est le sourire le plus franc
De ce mélancolique octobre.
 
Lumineusement, l’herbe fume
Vers la cime des châtaigniers
Qui se pâment—désenfrognés
Par le soleil qui les rallume.
 
Les collines de la bruyère,
Claires, se montrent de plus près
Leurs dégringolantes forêts
Semblant descendre à la rivière.
 
Celle-ci bombe, se balance
Et huileusement fait son bruit
Qui s’en va, revient, se renfuit,
Comme un bercement du silence.
 
Le vert-noir de l’eau se confronte
Avec le bleu lacté du ciel
À travers la douceur de miel
D’un air pur où le parfum monte :
 
Un arome sensible à peine,
Celui de la plante qui meurt
Exhalant sa vie et son cœur
En soufflant sa dernière haleine.
 
Or, dans ces fonde où l’on commence
À voir, des buissons aux rochers,
Des fils de la Vierge accrochés,
Rêve un clos de genêts immense.
 
Ils épandent là,—si touffue,
En si compacte quantité !
—Leur couleur évoquant l’été,
Qu’ils cachent le sol à la vue.
 
Ils ont tout couvert—fougeraies,
Ronce, ajonc, l’herbe, le chiendent.
Sans un vide, ils vont s’étendant
Des quatre cotés jusqu’aux haies.
 
A-t-il fallu qu’elle soit grande
La solitude de ce val,
Pour que ce petit végétal
Ait englouti toute une brande !
 
Promenoir gênant, mais bon gîte,
Abri sûr, labyrinthe épais
Du vieux reptile aimant la paix
Et du lièvre qu’une ombre agite !
 
Leur masse est encore imprégnée
Des pleurs de l’aube : ces balais
Montrent des petits carrelets
En fine toile d’araignée.
 
Parmi ces teintes déjà rousses
Du grand feuillage décrépit
Ils sont d’un beau vert, en dépit
Du noir desséché de leurs gousses.
 
Leur verdoiement est le contraire
De celui du triste cyprès :
Il n’évoque pour les regrets
Aucune image funéraire ;
 
Et pourtant, que jaune-immortelle
Leur floraison éclate ! Alors,
Tout bas, ils parleront des morts
Aux yeux du souvenir fidèle.
 
Ayant picoté les aumônes
Du bon hasard, dans les guérets,
Les pinsons, les chardonnerets
S’y mêlent rougeâtres et jaunes ;
 
Et souvent, aux plus hautes pointes,
Dans un nimbe de papillons,
On voit ces menus oisillons
Perchés roides, les pattes jointes.
 
Mais le soleil qui se rapproche
Perd sa tiédeur et son éclat.
Déjà, tel arbre apparaît plat
Sur le recul de telle roche ;
 
Toute leur surface embrumée
De marécageuse vapeur,
Les genêts dorment la stupeur
De leur extase inanimée.
 
Monstrueux de hauteur, de nombre,
Dans ce paysage de roc,
Ils sont là figés, tout d’un bloc,
D’air plus monotone et plus sombre.
 
En leur vague entour léthargique
Ils prennent, sous l’azur dormant,
Un mystère d’enchantement,
Une solennité magique.
 
Voici qu’avec le jour plus pâle
À droite, à gauche, on ne sait où,
Sur les bords, au milieu, partout,
On entend le chant bref du râle :
 
Et c’est d’une horreur infinie
Ce cri qui souterrainement
Contrefait le respirement
D’un être humain à l’agonie !
 
Puis le ciel baisse à l’improviste,
Devient noir, presque ténébreux.
Les genêts s’éteignent.—Sur eux
La pluie avorte froide et triste.
 
Et le vent gémissant lugubre,
Au soir mauvais d’un jour si beau,
Emporte dans l’air et sur l’eau
Leur odeur amère et salubre.

Paysages et paysans (1899)

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