Louise Ackermann

La lampe d’Héro

De son bonheur furtif lorsque malgré l’orage
L’amant d’Héro courait s’enivrer loin du jour,
Et dans la nuit tentait de gagner à la nage
           Le bord où l’attendait l’Amour,
 
Une lampe envoyait, vigilante et fidèle,
En ce péril vers lui son rayon vacillant ;
On eût dit dans les cieux quelque étoile immortelle
           Oui dévoilait son front tremblant.
 
La mer a beau mugir et heurter ses rivages,
Les vents au sein des airs déchaîner leur effort,
Les oiseaux effrayés pousser des cris sauvages
           En voyant approcher la Mort,
 
Tant que du haut sommet de la tour solitaire
Brille le signe aimé sur l’abîme en fureur,
Il ne sentira point, le nageur téméraire,
           Défaillir son bras ni son cœur.
 
Comme à l’heure sinistre où la mer en sa rage
Menaçait d’engloutir cet enfant d’Abydos,
Autour de nous dans l’ombre un éternel orage
           Fait gronder et bondir les flots.
 
Remplissant l’air au loin de ses clameurs funèbres,
Chaque vague en passant nous entr’ouvre un tombeau ;
Dans les mêmes dangers et les mêmes ténèbres
           Nous avons le même flambeau.
 
Le pâle et doux rayon tremble encor dans la brume.
Le vent l’assaille en vain, vainement les flots sourds
La dérobent parfois sous un voile d’écume,
           La clarté reparaît toujours.
 
Et nous, les yeux levés vers la lueur lointaine,
Nous fendons pleins d’espoir les vagues en courroux ;
Au bord du gouffre ouvert la lumière incertaine
           Semble d’en haut veiller sur nous.
 
Ô phare de l’Amour ! qui dans la nuit profonde
Nous guides à travers les écueils d’ici-bas,
Toi que nous voyons luire entre le ciel et l’onde,
           Lampe d’Héro, ne t’éteins pas !

Contes et poésies (1863)

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