Joseph Autran

Veillée nuptiale

Le vallon fait silence : un vent agite à peine
La feuille qui parfois tremble et s’éveille encore.
Le bruit seul des ruisseaux s’élève de la plaine,
Et, là-haut, dans les airs pleins de leur fraîche haleine,
Les étoiles au ciel s’ouvrent, paupières d’or !
 
L’humble ferme, séjour de l’agreste famille,
Goûte enfin le repos des courtes nuits d’été.
Une fenêtre seule à cette heure encore brille :
C’est ta lampe qui veille, ô chaste jeune fille,
Rayon pâle et mourant de ta virginité !
 
L’aurore aux feux prochains, qu’un tendre époux réclame,
De ses lis effeuillés sèmera ton chemin ;
Et celle qui ce soir, blanche comme son âme,
Jeune fille s’endort en priant,—jeune femme,
Au chevet de l’amour s’endormira demain !
 
Ah ! Du cher soupirant, qui veille aussi lui-même,
Le jour était venu d’assouvir les longs vœux.
Assez, assez longtemps, plein du désir suprême,
Il souffrit tous les maux qu’on souffre quand on aime,
Et que l’espoir déçu se nourrit de ses feux.
 
Assez longtemps les bois, aux sentiers voilés d’ombre,
Entendirent sa peine exhalée à tout vent ;
Assez longtemps le jour, la nuit brillante ou sombre,
Le virent repasser dans ses courses sans nombre,
Tantôt fier et joyeux, tantôt pâle et rêvant.
 
Aux abords du hameau, l’avez-vous rencontrée ?
Disait-il aux pasteurs sur les coteaux déserts.
Ce soir ou ce matin s’est-elle à vous montrée ?
Dans sa grâce d’enfant l’avez-vous admirée ?
Disait-il aux faneurs qui fauchaient les prés verts.
 
Avez-vous dans votre eau réfléchi son image ?
Disait-il à la source, au limpide lavoir.
Et vous, oiseaux chanteurs, cachés dans le feuillage,
L’avez-vous d’un refrain saluée au passage ?
Vous êtes-vous penchés afin de mieux la voir ?
 
Cette épreuve d’amour, six ans recommencée,
Demain s’achève enfin avec le jour tombant.
Demain l’amant fidèle obtient la fiancée :
Aux marches de l’autel, âme récompensée,
Jacob va recevoir la fille de Laban !
 
Jeune fille, pensée encore vive et légère,
C’est un autre avenir qui s’ouvre ici pour vous.
Dieu sait de ces destins combien chacun diffère,
Entre l’enfant qui rit au foyer de la mère,
Et la femme qui veille au foyer de l’époux.
 
Adieu l’insoucieuse et folle rêverie ;
Les chansons sous la treille où pendent les raisins ;
Les danses, au printemps, sur l’herbe refleurie ;
Aux fontaines, le soir, adieu la causerie
Avec les jeunes sœurs, filles des seuils voisins !
 
A l’épouse, aujourd’hui, la vie est plus sévère :
Quoique paré de fleurs le joug est un fardeau.
Femme de laboureur, soigneuse ménagère,
Désormais, en t’aimant il faut qu’on te révère ;
Mais, s’il est moins riant, ton lot n’est que plus beau.
 
Il est beau de veiller comme une providence
A ce foyer modeste, à ce banquet frugal ;
D’y maintenir la joie ainsi que la prudence,
Et, dans la pauvreté comme dans l’abondance,
D’y recevoir le sort d’un cœur toujours égal.
 
Reine obscure, il est beau, dans cette cour champêtre,
D’unir aux soins du jour les soins du lendemain ;
De partager, enfin, maîtresse avec le maître,
Le poids, le noble poids de ce sceptre de hêtre
Que tout bon laboureur porte en sa rude main !
 
Il est beau de mêler, suivant le jour et l’heure,
Aux sérieux propos les paroles de miel ;
D’avoir, aux temps heureux, égayé la demeure,
Et d’être maintenant, près de l’homme qui pleure,
L’esprit consolateur qui parle au nom du ciel.
 
Si la terre a trompé son espoir, si l’orage
A noyé ses épis, rompu ses baliveaux,
Si le vin récolté n’a pas payé l’ouvrage,
Il faudra qu’un accent relève son courage,
Et qu’une tendre main le ramène aux travaux.
 
C’est plus ! Étant l’épouse, il sied d’être la mère,
De suspendre à son sein quelque frais nourrisson ;
Et, se tenant debout au seuil de sa chaumière,
De dire aux gens le soir, d’une voix douce et fière :
Voyez le bel enfant, c’est mon nouveau garçon !
 
A ce cher groupe enfin, qu’on tient sur sa poitrine,
Il est beau d’enseigner dès leur tendre matin,
Aux filles, la pudeur, grâce et crainte divine.
Aux garçons, le travail qui vaut toute doctrine,
Et l’amour du pays, quel qu’en soit le destin !
 
Femme du laboureur, matrone au flanc robuste,
Laisse-moi t’admirer dans ton grave maintien !
Femme à la main vaillante, à l’âme droite et juste,
D’une reine en sa pourpre et dans sa grâce auguste
Le prestige à mes yeux n’efface pas le tien.
 
Tel est pourtant le sort qui de loin te convie.
Enfant qu’un doux mystère ombrage encore ce soir !
Colombe qui demain seras au nid ravie,
Tels seront les travaux et les droits de ta vie ;
Et, s’il est des douleurs, que sert de les prévoir ?
 
Ah ! Les soucis du temps, les images chagrines,
Chez toi comme chez nous entreront assez tôt.
Ne songeons maintenant qu’aux tendresses voisines :
Voici qu’aux premiers feux du jour sur les collines,
La flûte et le hautbois descendent du coteau !

Le Poème des beaux jours (1862)

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