Joseph Autran

Matinée de juin

Tant pis pour les beaux yeux que le sommeil tient clos,
Pour tous les indolents dont la nuit se prolonge :
Ils ne connaîtront pas, si beau que soit leur songe,
Ce spectacle enchanté du matin sur les flots.
 
Lumière, azur, fraîcheur ! La mer est diaprée ;
L’aube fleurit au ciel, grand lis épanoui ;
La nue a des reflets dont l’œil est réjoui ;
Le flot a des senteurs dont l’âme est pénétrée.
 
Un tumulte joyeux court sur les larges eaux ;
Cent barques de pêcheurs, parmi la folle écume,
Voguent allègrement ;—d’une dernière brume
Sortent à l’horizon les mâts des blancs vaisseaux.
 
L’un d’eux arrive à nous, toutes voiles ouvertes ;
A sa proue, à ses flancs l’eau bouillonne avec bruit ;
Au rayon matinal sa poulaine reluit,
Déesse au casque d’or fendant les ondes vertes !
 
En foule sur le pont, les passagers heureux
Fixent les yeux sur toi, terre longtemps rêvée !
Nous leurs donnons du geste un bonjour d’arrivée,
Et le salut ami nous est rendu par eux.
 
On se hèle, en passant, d’une tartane à l’autre :
—Est-ce toi, Simon-Pierre ?—Oui, patron ; quel beau temps !
—Holà ! Hé, les anciens, revenez-vous contents ?
Bonne pêche à coup sûr ?—Un miracle ; et la vôtre ?
 
Ainsi dans un vent frais, sonore tourbillon,
Retentit par moments leur voix rude et sauvage.
Du milieu de la mer, on entend au rivage
Le clocher du hameau qui sonne un carillon.
 
L’oreille à ce doux bruit, qui parfois nous échappe,
Nous aussi nous rentrons, fiers de notre butin.
Sur quel point de la côte irons-nous ce matin
Apprêter le repas et le manger sans nappe ?
 
Vous plaît-il de descendre à ces rochers connus
Que hantent, en été, femmes et brunes filles ?
On les voit, près du flot, ramasser des coquilles,
Et, dans leurs jeux, souvent y plonger leurs pieds nus !
 
Ou bien préférez-vous gagner ce promontoire
Qui garde les débris d’un monument romain,
Ruine dont l’arceau, revêtu de carmin,
Sur les soleils couchants forme un arc de victoire ?

Les Poèmes de la mer (1859)

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