Joseph Autran

Les nuits de Naples

Après ces jours d’été dignes du ciel numide,
Quand le soleil a fui sous l’occident en feu,
Heureux qui vient, le soir, sur la falaise humide,
Dilater ses poumons à l’air du golfe bleu !
 
Est-il parfum meilleur que celui de ces plages ?
Que ce vent de la nuit, aux retours attendus,
Qui mêle des senteurs d’algue et de coquillages
Aux odeurs des citrons sur la mer suspendus ?
 
Nuit suave ! Le flot, sans ride et sans secousse,
Repose ; il n’atteint pas jusqu’au sable du bord.
Sa caresse au rivage, intermittente et douce,
Semble un dernier baiser de femme qui s’endort.
 
Pas un bruit à la rive : au ciel pas une tache.
D’une clarté diurne on dirait qu’il reluit.
Est-ce qu’un jour sans fin à ce beau ciel s’attache,
Et, d’un éclat vainqueur, brille à travers la nuit ?
 
Ce jour n’est pas le jour dont la lumière embrase
Il ne réchauffe plus, mais il éclaire encore.
Il revêt les coteaux d’une tremblante gaze
Que les anges de l’air tissent d’argent et d’or.
 
Tel était votre jour, mânes de l’Élysée,
Dont Virgile plaçait les royaumes ici ;
Car, à lui, sa chimère, enfin réalisée,
N’était qu’un vallon calme et qu’un ciel adouci.
 
Ce réseau, qui partout en pâles lueurs tombe,
Ne cache rien à l’œil dans l’immense horizon :
Voilà le Pausilippe, où Virgile a sa tombe ;
Là, Sorrente, où le Tasse eut sa pauvre maison.
 
Voici la Margelline, où l’esquif, qu’il amarre
Berce encore le pêcheur qui chante avec l’écho.
Plus loin c’est Portici : salut, Castellamarre !
Salut, jardins en fleurs de Torre del Greco !
 
Et toi, Vésuve, toi dont, la cime échancrée
Sur les coteaux voisins plane éternellement,
Te voilà ! Sur la nuit lumineuse et nacrée,
Ta vapeur se dessine en panache fumant.
 
De tous les hauts balcons ombragés de leurs nattes,
De tous les humbles seuils ornés de verts festons,
S’élèvent des appels, des chansons, des sonates,
Dont la guitare excite ou modère les tons.
 
Sous un bouquet de pins, qu’éclaire un rayon vague,
Et dont les parasols se projettent sur l’eau,
Un groupe de baigneurs se joue –avec la vague,
Et de profils errants embellit ce tableau.
 
Qu’entends-je ? À mon oreille une note divine
Arrive ; elle est joyeuse et rit en expirant.
A ce timbre argentin la femme se devine.
Comme une lyre aimée aux accords qu’elle rend :
 
Oui, c’est un jeune essaim de femmes et.de filles
Confiant à la nuit leurs folâtres ébats :
Elles ont suspendu leurs voiles aux charmilles,
Et, dans le flot ému, s’avancent pas à pas.
 
Et l’amoureuse mer les prend et les balance,
Et les fait tressaillir de joie et de frissons ;
Et leur voix de la nuit réjouit le silence ;
Et la brise qui passe en disperse les sons.
 
Ô Naples ! Doux tombeau de l’antique Sirène,
As-tu donc retrouvé sur tes sables d’argent
Ces filles de la mer qui, dans la nuit sereine,
Se donnaient à la vague et chantaient en nageant ?
 
Ô Méditerranée ! Ô lac des eaux limpides,
Que tant de corps divins fendaient de leurs bras nus,
Es-tu toujours la mer des blanches Néréides ?
Es-tu toujours la mer qui vit naître Vénus ?

Les Poèmes de la mer (1859)

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