Jean de La Fontaine

Le soleil et les grenouilles

Aux noces d’un tyran tout le peuple en liesse
Noyait son souci dans les pots.
Ésope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d’allégresse.
Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l’hyménée.
Aussitôt on ouït, d’une commune voix
Se plaindre de leur destinée
Les citoyennes des étangs.
« Que ferons-nous, s’il lui vient des enfants ?
Dirent-elles au Sort : un seul Soleil à peine
Se peut souffrir ; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais : notre race est détruite ;
Bientôt on la verra réduite
À l’eau du Styx. » Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal.

Les fables du livre VI (1678)

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