Jean Auvray

Les rodomons sous les courtines

Ces fendeurs de nasaux, ces Trasons, ces bravaches (*),
Qui armés jusqu’aux dents menacent terre et cieux,
Aux combats de Cypris ne sont que des gavaches :
L’adolescent Amour n’a rien de furieux.
 
C’est un conte de vieille, un mensonge, une fable,
Que de Mars furibond Cyprine ait eu pitié ;
Si ce cruel baisa cette déesse affable,
Ce fut par violence et non par amitié.
 
Mars est peint tout armé, l’œil fier, la main sanglante,
Plein de rage et fiel ; au contraire, Vénus,
Toujours en bel humeur, douce, humaine, riante,
Les membres potelés, rebondis et tout nus.
 
Pour nous que jour et nuit le feu d’amour enflamme,
Nous disons qu’il n’est point tombeau plus glorieux
Que le sein pommelé d’une amoureuse dame,
Et que mourir ainsi, c’est vivre avec les dieux.
 
Tous nus entre deux draps à l’ombre des courtines,
Nous souffrons et faisons souffrir mille trépas,
Et l’âme palpitant sur deux lèvres sucrines :
Nous mourons mille fois, et si ne mourons pas.
 
Soit en force de corps, soit en vigueur de flammes,
Soit pour trouver au lit mille blandissements (*),
Nous sommes les phœnix des amoureuses âmes,
Jetant la poudre aux yeux des plus parfaits amants.
 
Nous savons comme il faut aux plaisirs de la couche
Rallumer nos brasiers de mille attraits nouveaux,
Baiser en cent façons le corail d’une bouche,
Et l’enfleure presser de deux globes jumeaux.
 
Lancer à l’improviste une œillade lascive,
D’un fantasque mari apaiser le courroux,
Soupirer nos tourments d’une grâce naïve,
Pocher les yeux d’Argus et tromper les jaloux.
 
Dissimuler nos feux, forger mille artifices,
Cacher aux plus rusés les désirs de nos cœurs.
Adorer deux beaux yeux, leur offrir nos services,
Les nommer nos soleils, nos rois et nos vainqueurs.
 
Ou, si nous ne pouvons devant ces âmes louches
Gémir ouvertement la rigueur de nos coups,
Nos yeux alors faisant l’office de nos bouches,
Nos languissants regards parlent assez pour nous.
 
Nous produisons encor ce miracle en nature
Qu’un sein de glace brûle au feu de nos doublons,
Si l’herbe Ethiopis fait tomber la serrure,
Notre discours fait choir la nymphe aux courts talons.
 
Aux doux accords d’un luth notre voix mariée
Porte l’âme à l’oreille ouïr un paradis,
Et dansant, notre grâce au geste appariée
Donnerait de l’amour aux plus chastes Judits.
 
Pour rendre de tout point une dame contente
Sans le satirion, la Pistache et les œufs.
Le mol bégaiement d’une langue qui tente,
Invincibles nous rend au duel amoureux.
 
Qu’on ne nous blâme point du vice de paresse,
Ce morfondu péché répugne à nos désirs,
Car il n’est tordion (*), cullotis (*), ni souplesse
Qu’Amour ne nous instruise au fort de nos plaisirs.
 
L’Aretin fut un sot de limiter un nombre
Des postures qu’on tient au manège d’amour,
Si de l’enfer pouvait ressusciter son ombre,
Bien d’autres il verrait pratiquer à la cour.
 
Mais laissant Jupiter et son beau Ganymède
D’un stupre abominable offenser le soleil,
Pour donner à nos maux un licite remède
Nous humons à longs traits le nectar d’un bel œil.
 
Enragez donc Vulcans, tenez maussades âmes
Ces amoureux tendrons jour et nuit enserrés,
Vos rigoureux glaçons augmenteront leurs flammes
Et plus serez jaloux plus cocus vous serez.
 
 
* Bravache : Faux brave, fanfaron.
* Blandissements : Caresses.
* Tordion : Torsion, contorsion.
* Cullotis : Mouvements du derrière.

Le banquet des muses (1623)

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