Jean Aicard

Lorsque j’étais enfant.

Lorsque j’étais enfant, j’ai fait plus d’une fois,
Comme tous mes égaux, l’école buissonnière.
Le maître m’attendait : j’étais dans la rivière,
Ou le long de l’étang, ou dans le petit bois.
 
Temps perdu ? Non, gagné, car j’apprenais des choses
Que jamais ne me dit le professeur savant,
Quand j’écoutais, furtif, le murmure du vent
Et le frisson léger des bourdons sur les roses.
 
Du soupir des blés mûrs, de la chanson du nid,
Du bruit de l’eau perlant sur la branche mouillée,
De tous les sens confus qui troublent la feuillée,
J’apprenais l’art divin, le rythme et l’infini.
 
Aujourd’hui, l’écolier des oiseaux, des cigales
Et des roseaux penchés au bord des marais verts,
Imite leur langage et, selon l’art des vers,
Il décrit la campagne et les saisons égales.
 
Répétant de son mieux les secrètes leçons
Et le spectacle fort de la nature en sève,
L’humble rêveur, content d’être encore leur élève,
Vous ramène à l’école au milieu des buissons.
 
A cette heure où chacun parle de fin prochaine,
Où la plupart, plaintifs, meurent d’un long ennui,
Le poète, attristé des âmes d’aujourd’hui,
Raconte la vertu patiente du chêne.
 
En ce moment qui semble au monde le dernier,
Où l’on dit que déjà la conscience est morte,
Il ne va pas chantant le désespoir : il porte,
Comme gage de vie, un rameau d’olivier.
 
Car il comprend qu’un verbe habite les écorces,
Il devine dans tout l’exemple ou le conseil ;
Il sait qu’un grand espoir nous luit dans le soleil
Et qu’un amour sans fin fait la chaîne des forces.
 
Ah ! rien qu’en traversant, quand Avril est vainqueur,
La prairie et les bois où tout vient de renaître,
L’homme, à qui nul n’a dit l’esprit caché de l’être,
Sent bien pourtant qu’un dieu lui passe dans le cœur !
 
Or les prés et les bois, les printemps que je chante
Sont ceux du pays même où je fus écolier,
Mon doux recoin de terre aimable et familier
Où la mer vient baigner la colline penchante.
 
J’ai là, dans ma Provence, où les lauriers sont beaux,
Mon foyer, mon arpent du sol de la patrie,
Et je sens à ce nom ma pensée attendrie,
Car là j’ai des amis et là j’ai des tombeaux.

Les Poèmes de Provence (1874)

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