Jean Aicard

Les Mayes.

Premier mai, souvenir charmant, boutons ouverts !
La querelle des nids emplit les chênes verts.
L’épine disparaît sous le fouillis des roses.
Dans la haie, où les fleurs du jasmin sont écloses,
Un frais et monstrueux chardon s’épanouit.
La montagne respire, et tout se réjouit,
Et, comme un champ ses fleurs, la ville dès l’aurore
Voit nos Reines de Mai, souriantes, éclore
Sur le seuil des maisons où se chauffe l’aïeul.
 
Allez, enfants, cueillir la rose et le glaïeul,
Apportez du lilas et de la clématite,
L’ardent coquelicot, la pâle marguerite,
Les lis droits et si blancs, les jaunes boutons d’or ;
Cueillez tout ; le soleil en fera naître encore.
 
Ils reviennent, portant des bouquets à main pleine ;
La plus jolie enfant devient alors la Reine :
La Maye, en robe blanche aux plis bien arrangés,
Est assise, les pieds sur un siège allongés ;
On dirait, à la voir ainsi de blanc vêtue,
Sans mouvement, muette et roide, une statue.
On la couvre de fleurs. Bleu, jaune, vert, carmin,
La constellent. Elle a des fleurs dans chaque main ;
Chaque pli de sa robe en garde une poignée ;
Sa jeune chevelure est de fleurs couronnée.
Des pieds jusqu’à la tête un voile en tulle blanc
L’enveloppe et lui fait comme un nimbe tremblant :
On voit la Reine en fleurs à travers ce nuage,
Et sur sa blancheur pure, emblème de son âge,
Les fleurs semblent dormir sur la neige des monts,
Mais jusque sur la neige elles disent : Aimons !
 
« Pour la Maye ! » murmure une petite fille
Qui vous tend l’escarcelle où sa fortune brille :
D’autres quêtent de même, et c’est pourquoi, le soir,
Sur les seuils parfumés on les verra s’asseoir,
Et, l’appétit riant sur leurs lèvres vermeilles,
Manger en bourdonnant comme font les abeilles.
Souvenirs ! Souvenirs ! Provence d’autrefois !
Ô païenne, pays latin et sol gaulois !
Dis, vieux Nostradamus, d’où vient cette coutume ?
 
Jadis, et dans ce mois où la colline fume,
Nubile, se voilant d’un nuage amoureux,
Où Pan tressaille et gronde au fond des antres creux
Et se lamente, fou des baisers de l’aurore ;
Où dans la fleur le fruit en germe s’élabore,
Nos pères, qui fêtaient le renouveau divin,
Fêtaient surtout la vigne en sève, espoir du vin ;
Et, lorsque se montrait la pâle fleur d’ivresse,
Tous ces Ioniens, le cœur plein d’allégresse,
Aux premiers jours de mai, songeaient dès le réveil :
« La joie est en sa fleur : fais-la mûrir, soleil ! »
 
Et les Mayes alors, de pampres couronnées,
Chantaient le doux printemps et leurs belles années,
Car les Mayes étaient des filles de seize ans
Qui, sous les oripeaux et les bijoux luisants,
Sous les fleurs en couronne, en bouquets, en guirlande,
Échangeaient un baiser sonnant pour une offrande
Dont on faisait, le soir venu, de gais repas.
Ah ! certes, le passant ne se refusait pas,
Et les Mayes, ayant, belles entre les belles,
Les fiancés jaloux qui veillaient autour d’elles,
Egayaient les chemins, à chaque carrefour,
Vierges en fleurs, espoir des vendanges d’amour !
 
Lors, c’était sous l’amas confus des feuilles vertes
Qui laissait voir l’éclat des gorges entr’ouvertes,
C’était dans les chansons, les parfums, les couleurs,
Au doux fredon des luths, les Bacchantes des fleurs,
Et, comme les vieux ceps la sève sous l’écorce,
Nos durs aïeux sentaient leur jeunesse et leur force.

Les Poèmes de Provence (1874)

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