Jean Aicard

Le mistral.

Ce vent, qui jette aux flots les galets de la grève,
Pour sortir de son outre avec de longs cris sourds,
Brusquement, sans attendre aucun ordre, la crève !
 
Lors il souffle par trois, par six et par neuf jours,
Car Trois étant sacré pour les dieux et les mondes
Sur ce nombre divin il a réglé son cours.
 
Le voici ! le voici, ce laboureur des ondes !
Il fond sur Avignon où le Rhône brutal
S’oublie et rêve autour de ses îles fécondes.
 
Or, le Rhône, surpris par le fouet du Mistral
Qui tourmente ses flancs et qui tord sa crinière,
Écume et tout à coup part comme un bon cheval,
 
Ou bien comme un taureau quand siffle la lanière
Que lui lance en criant le bouvier camarguais,
Puis tous deux au galop s’en vont sous la lumière.
 
Hourrah ! car il est fort le vieux Rhône français ;
Jusqu’à la mer d’un grand élan depuis sa source
Il va toujours chantant sans se plaindre jamais !
 
Hourrah ! car le Mistral le fatigue à la course,
Le Mistral qui, rompant les chênes dans nos bois,
Fait aux mains de la Nuit vaciller la grande Ourse.
 
Le fier Mistral peut seul te réduire aux abois,
Père de nos cités gauloises, fleuve libre,
Mais sois sans honte, ô fleuve, il est aussi gaulois !
 
Ô fleuve, nous t’avons comme Rome eut le Tibre,
Mais le Mistral au monde est un roi sans pareil
Pour qui la vaste mer comme une lyre vibre !
 
Il vient, et ses clameurs font nos nuits sans sommeil,
Mais il est le vent sain qui chasse les nuées
Et mêle à l’ouragan les gaîtés du soleil.
 
Les vagues à sa voix follement remuées
Ont sous le ciel serein des tempêtes d’azur,
Et la Fièvre aux yeux creux a peur de ses huées.
 
Quand la peste s’enfuit au gré de ce vent pur,
Quand les miasmes s’en vont dispersés par sa rage,
Qu’importe un homme pris sous la chute d’un mur !
 
Car sa force est terrible, et quand son cri sauvage
Retentit, on entend frissonner la maison ;
Les ponts tremblent ; la mer s’éloigne du rivage,
 
Et rebroussant chemin les vaisseaux ont raison,
Frémissants de la quille au bout du mât qui ploie,
Ballottés et penchants, de fuir sous l’horizon.
 
Les Romains, qui tenaient le monde pour leur proie
Et ne rencontraient pas sur terre de vainqueur,
D’Arles jusques à Rome ouvrirent une voie.
 
Mais lorsque le Mistral, formidable et moqueur,
Passait dans leur chemin de gloire et de conquête,
Une terreur sacrée envahissait leur cœur.
 
Les ouvriers romains disaient courbant la tête :
« C’est l’âme du pays qui gronde et dans la nuit
Renverse nos piliers d’un souffle de tempête ! »
 
– « Circius est un dieu qui parle dans ce bruit,
Car un dieu seul résiste à César qui s’avance. »
Dit César, et bientôt un temple fut construit
 
A CIRCIUS, AU DIEU MAÎTRE DE LA PROVENCE.

Les Poèmes de Provence (1874)

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