Jean Aicard

Exil.

J’ai besoin de silence... oh ! ne me parlez pas !
J’écoute au fond de moi le murmure d’un rêve,
Et j’entrevois au loin, sous les vapeurs, là-bas,
La Provence éclatante et chaude qui s’élève !
 
Un souffle amer, pesant, me traverse le cœur...
Est-ce toi, folle brise ou mistral des collines ?
Est-ce vous dont le vol a pris tant de lenteur,
Parce qu’il s’est chargé des essences marines ?
 
Souffle étrange ! parfum qui trouble ! souvenir !
Toujours et malgré tout tu pénètres mon âme,
Et tu me fais chanter, et tu me fais souffrir,
Souvenir ! nom cruel, doux comme un nom de femme !
 
J’ai tout quitté ! ma sœur, mes flots et mon soleil !
J’ai quitté la nature ardente de Provence,
Quitté mon fier pays ignorant du sommeil,
Qui moissonne sans trêve et sans trêve ensemence !
 
Tu ne me tendras plus, ma sœur, tes douces mains ;
Je suis seul maintenant ! je vais tête baissée,
Et je saigne de voir le peuple des humains
Oublier les hauteurs calmes de la Pensée.
 
C’est fini. Je suis là, morne. J’ai tout quitté !
J’ai fui ! Je suis parti sans regarder derrière !...
Elle n’est plus à moi, la bleue immensité
Tressaillant de bonheur, d’amour et de lumière !
 
Je ne vais plus, le front tout pensif, dans les bois,
Respirer le printemps amoureux et sauvage !
Je ne suis plus l’amant si joyeux autrefois
Des vagues aux yeux bleus qui chantent sur la plage !
 
Ah ! que je vous aimais, magnifiques sommets !
Pins et chênes mouvants, collines virginales,
Cimes de la Provence, ah ! que je vous aimais !
Vous qui montez au ciel mieux que les cathédrales !
 
Pics de Coudon, Faron, grands rêveurs soucieux,
Comme vous tentez bien l’escalade suprême !
Comme vous heurtez bien votre colère aux cieux !
Révoltés au cœur chaste et ferme, vous que j’aime !
 
Ô Provence, aujourd’hui je parle et chante ainsi !
Et, lorsque je t’avais, c’étaient d’autres contrées
Que mon âme en pleurant se rappelait aussi,
Et qu’aussi je nommais sublimes et sacrées !
 
Oui, par-delà les monts et par-dessus l’azur,
Plus loin que le nuage et plus haut que les astres,
Je sais confusément un pays jeune et pur,
Un pays affranchi du mal et des désastres !
 
Là, l’Amour fraternel est de tous bien connu !
Là, tout arbre a des fruits et chaque enfant sa mère ;
On ne voit pas un homme errant, débile et nu,
Manger le froment dur de la pâle misère !
 
C’est le pays où luit la bonne Volonté !...
Ah ! mon cœur de vingt ans, comme vous battez vite
Au nom de la patrie et de la vérité !...
Tel, au bord de son nid, l’aiglon tremble et palpite !
 
Eh bien ! un peu de temps, un peu de temps encor,
Ô splendide pays des âmes immortelles,
Et je pourrai vers toi prendre enfin mon essor,
Quand la mâle Vertu m’aura donné des ailes !

Les jeunes croyances (1867)

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