Jacques Prévert

Soudain le bruit

Soudain l’homme se réveille

au milieu de la nuit

il est saisi par le malaise

et il écoute malgré lui

le silencieux vacarme de l’angoisse

le bruit qui ne fait pas de bruit

le silence qui hurle à la mort

dans le grand coquillage de la nuit

ce bruit aphone—ce bruit de cendres...

l’homme tente vainement de se défendre contre lui

mais le bruit continue son terrible et calme petit bruit

de bruit qui ne fait aucun bruit

alors l’homme saute à bas du lit

il ouvre la fenêtre

il demande à la rue de faire quelque chose

il la supplie de faire du bruit

du vrai bruit vivant comme la vie

mais la rue reste muette comme une lanterne sourde

muette comme une chouette qui serait muette

comme une palourde

la fenêtre donne sur un cimetière

un mur avec derrière sous terre des morts

et pas un chat

seulement le bruit qui ne fait pas de bruit

et qui se promène dehors

dans le paysage de la mort

dans le paysage de la nuit

et l’homme se cogne la tête contre le mur

son sang jaillit

comme une source

une source qui ne fait pas de bruit

et l’homme entend toujours l’atroce murmure

la froide clameur de l’insomnie

et vaincu comme un homme qui meurt

il s’écroule sur le tapis

soudain

les oiseaux du
Père
Lachaise se réveillent et

déchirent la nuit et le soleil aussi se lève pâle comme les gens qui n’ont pas dormi où donc a-t-il passé la nuit peut-être chez les filles du malaise là-bas... très loin... en malaisie l’homme se relève aussi saignant et grelottant du froid de la nuit il se cramponne à la barre d’appui il regarde le soleil briller rescapé du naufrage de la nuit il écoute tous les bruits de la vie il est bouche bée émerveillé

son visage est ensanglanté il sourit.

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