Jacques Prévert

Irrespect humain

Lorsqu’un agneau voit s’avancer vers lui un bipède humain avec au bout des pattes de devant DIX tentacules crispés autour d’un fer sanglant, il a peut-être bien plus peur et horreur que Gilliatt le travailleur de la mer attaqué par un poulpe géant.

Les contorsions du visage humain, grimaces de l’anxiété, du dégoût, de la peur, du désir, de la gloire, de la sainteté, du dépit, du fou rire ou du désespoir sont masques très anciens qui masquaient d’autres masques plus anciens encore et plus secrets.

Le masque mortuaire de Pascal n’a jamais rien révélé de ses arrière-pensées.

De nos jours, les masques de la mascarade mentale paraissent d’une affligeante et banale médiocrité et les autres masques cachés sont cause d’une cruauté inutile, néfaste et perfectionnée.

L’homme est un loup pour l’homme, a dit un jour un homme et ce n’était guère vrai. Il se vantait et généralisait.

Il serait, par exemple, plus utile de se demander ce qu’est un homme pour un veau. Il n’y a pas si longtemps, le visage d’un veau était beau, même mort. La tête tranchée, il restait pareil : enfantin.

Une très simple, très émouvante sculpture naturelle et l’herbe qui ornait ses oreilles avait un petit air de fête au musée de la mort utile, de la mort à manger.

Aujourd’hui, nul tripier ne trouverait pareil objet d’art pour agrémenter son étalage. La souffrance défigure l’enfance et, dans les usines à viande, le veau est gavé, soufflé aux oestrogènes, nourri à la machine, amphétamine, emprisonné dans d’étroites petites cages dites « d’attendrissement ».

Attendrissement pour que sa chair soit plus tendre et plus blanche–

Et qui peut savoir si, de même que n’importe quel humain enchaîné, torturé, ce petit être infirme informe peut jouir du dérisoire et atroce privilège de pouvoir, avec une déchirante impatience, appeler au secours la mort, la délivrance ?

Enfin, peut-être que les échos de sa voix bovine se mêlant mélodieusement à ceux de la voix divine des petits castrats de la Chapelle Sixtine enrichiront ainsi l’harmonie universelle parmi toutes les espèces d’espaces et impasses du temps.

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