Jacques Prévert

En provence, aujourd’hui encore...

En Provence, aujourd’hui encore, un déjeuner de soleil c’est un repas d’ogre. La lumière dévore le paysage et avec la plus amène hostilité, saute au visage du peintre de Riviera, du décorateur de la région d’honneur qui prend place sans avoir été convié.

Pour Lucien Jacques, au contraire, tout de suite le couvert a été mis.

Et ça fait longtemps que ça dure.

Ce n’était pas un touriste pictural, simplement un émigrant, un meurt-de-soif, un homme de la peinture à l’eau vive, fuyant le gris mauvais, la boue souillée, le ciel gazé.

Né dans l’Est, où encore une fois la guerre s’installait traditionnellement, comme chez elle, il s’était vu, et bien malgré lui, contraint de lui donner un coup de main et le paysage d’enfance il l’avait vu, sordidement se métamorphoser. Ce n’était plus que pauvres planches anato-miques format 14-18: nature morte éventrée, chevaux verts et gonflés, boyaux, tranchées, théâtre aux armées, décors bleus d’agonie, blême d’ambulance, iode de tuerie.

Alors, sur le pays natal, sur l’est, sur la Lorraine il avait tiré une croix, la croix du sud.

Déserteur de l’horreur, il avait fui vers la nature saine et encore épargnée.

Et depuis, toujours surpris par la beauté des choses, il les surprenait en même temps.

Et ces choses, comme il les regardait, sans les guetter, les épier, elles se découvraient dans leur secrète, leur intense simplicité.

Et puis-encore une fois, tenace, bornée et gagnant du terrain la guerre revint avec un nouveau pedigree, traînant toujours derrière elle sa défroque de paix.

Lucien Jacques, peut-être le dernier aquarelliste mais sans aucun doute le meilleur, sinon le premier, continuait à peindre l’oasis où il avait trouvé soleil et hospitalité.

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