François de Malherbe

À la marquise de Rambouillet

   (Sous le nom de Rodanthe.)
               1622 ou 1623.
 
 
Chère beauté que mon âme ravie
Comme son pôle va regardant,
Quel astre d’ire et d’envie
Quand vous naissiez marquait votre ascendant,
Que votre courage endurci,
Plus je le supplie, moins ait de merci ?
 
En tous climats, voire au fond de la Thrace,
Après les neiges et les glaçons,
Le beau temps reprend sa place,
Et les étés mûrissent les moissons :
Chaque saison y fait son cours ;
En vous seule on trouve qu’il gèle toujours.
 
J’ai beau me plaindre et vous conter mes peines,
Avec prières d’y compatir ;
J’ai beau m’épuiser les veines,
Et tout mon sang en larmes convertir ;
Un mal au deçà du trépas,
Tant soit-il extrême, ne vous émeut pas.
 
Je sais que c’est : vous êtes offensée,
Comme d’un crime hors de raison,
Que mon ardeur insensée
En trop haut lieu borne sa guérison ;
Et voudriez bien, pour la finir,
M’ôter l’espérance de rien obtenir.
 
Vous vous trompez : c’est aux faibles courages
Qui toujours portent la peur au sein
De succomber aux orages,
Et se lasser d’un pénible dessein.
De moi, plus je suis combattu,
Plus ma résistance montre sa vertu.
 
Loin de mon front soient ces palmes communes
Où tout le monde peut aspirer ;
Loin les vulgaires fortunes,
Où ce n’est qu’un, jouir et désirer.
Mon goût cherche l’empêchement ;
Quand j’aime sans peine, j’aime lâchement.
 
Je connais bien que dans ce labyrinthe
Le ciel injuste m’a réservé
Tout le fiel et tout l’absinthe
Dont un amant fut jamais abreuvé :
Mais je ne m’étonne de rien ;
Je suis à Rodanthe, je veux mourir sien.

Poésies livre III

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