François Coppée

Sur la terrasse.

Devant le pur, devant le vaste ciel du soir,
Où scintillaient déjà quelques étoiles pâles,
Sur la terrasse, avec des fichus et des châles,
Toute la compagnie avait voulu s’asseoir.
 
Devant nous l’étendue immense, froide et grise,
D’une plaine, la nuit, à la fin de l’été.
Puis un silence, un calme, une sérénité !
Pas un chant de grillon, pas un souffle de brise.
 
Nos cigares étaient les seuls points lumineux ;
Les femmes avaient froid sous leurs manteaux de laine ;
Tous se taisaient, sentant que la parole humaine
Romprait le charme pur qui pénétrait en eux.
 
Prés de moi, s’éloignant du groupe noir des femmes,
La jeune fille était assise de profil,
Et, brillant du regret des anges en exil,
Son regard se levait vers le pays des âmes.
 
Ses mains blanches, ses mains d’enfant sur ses genoux
Se joignaient faiblement, presque avec lassitude,
Et ses yeux exprimaient, comme son attitude,
Tout ce que la souffrance a de cher et de doux.
 
Elle semblait frileuse en son lourd plaid d’Écosse
Et pourtant souriait, heureuse vaguement,
Mais ce sourire était si faible en ce moment
Qu’il avait plutôt l’air d’une ride précoce.
 
Pourquoi donc ai-je alors rêvé de la saison
Qui dépouille les bois sous la bise plus aigre,
Fit pourquoi ce sillon dans la joue un peu maigre
M’a-t-il inquiété bien plus que de raison ?
 
Je connais cet enfant ; elle n’est que débile.
Depuis le bel été passé dans ce château,
Elle va mieux. C’est moi qui lui mets son manteau,
Lorsque le vent fraîchit, – d’une main malhabile.
 
J’ai ma place auprès d’elle, à l’heure des répas,
Je la gronde parfois d’être à mes soins rebelle,
Et, tout en plaisantant, c’est moi qui lui rappelle
Le cordial amer qu’elle ne prendrait pas.
 
Elle ne peut nous être aussi vite ravie !...
Non, mais devant ce ciel calme et mystérieux,
Avec ce doux reflet d’étoile dans les yeux,
Cette enfant m’a paru trop faible pour la vie ;
 
Et, sans avoir pitié, je n’ai pas pu prévoir
Tout ce qui doit changer en ride ce sourire
Et flétrir dans les pleurs ce regard où se mire
Le charme triste et pur de l’automne et du soir.

Le cahier rouge (1892)

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