François Coppée

Le passant.

Sous le bandeau trop lourd pour son front de seize ans,
Assise sur un trône aux longs rideaux pesants
Où l’orgueil brodé d’or des blasons s’écartèle,
Couverte de lampas et d’antique dentelle,
Blanche aux longs cheveux noirs, ayant dans ses yeux noirs
L’éclat resplendissant de l’étoile des soirs,
Et triste doucement, se tient la jeune reine
Par la naissance et par la beauté souveraine.
 
La fenêtre est ouverte, et, splendide décor,
Elle voit des forêts où résonne le cor,
Des donjons sur des rocs plus hauts que les orages,
Des vals et des coteaux aux riches pâturages,
Tout un royaume libre et fort par le travail.
Dans le cadre borné que forme le vitrail
Et qu’entoure un frisson de fraîches giroflées,
Elle voit des vaisseaux aux voilures gonflées
Qui remontent le fleuve et de lourds galions
Dont le ventre bombé crève de millions.
 
Elle n’y pense pas, elle rêve, elle écoute
Le zéphyr... Elle voit défiler sur la route
Les bataillons touffus de ses pertuisaniers
Chamarrés d’or de pied en cap par ses deniers.
Elle rêve, et sa tête adorable s’incline.
Et là-bas, descendant de la verte colline,
Précédé par un bruit de lointaines chansons,
Pensif et s’arrêtant pour cueillir aux buissons
Des lianes dont il adorne sa guitare,
Un pâle et maigre enfant à l’allure bizarre
S’approche et voit la reine assise en son château.
Celle-ci l’aperçoit qui descend du coteau.
Étonnée, elle tend son svelte cou de cygne
Et de sa main exquise elle lui fait un signe.
 
Il monte, tout tremblant déjà d’un vague émoi,
Et la reine lui dit : « Chante et divertis-moi. »
Et le petit chanteur, tout fier au fond de l’âme,
Prélude ; mais soudain, en voyant cette femme
Si belle lui sourire et le considérer,
Il jette au loin son luth et se met à pleurer.

Sonnets intimes et poèmes inédits (1911)

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