Félix Arvers

À Charles X

Triste et soudain fracas d’un trône héréditaire,
Profond enseignement aux puissants de la terre,
Qui vous eût pu prévoir, et dire : Dans trois jours,
Cette tige de rois par les siècles blanchie
Et ce vaste pouvoir et cette monarchie
Auront fui sans espoir et croulé pour toujours ?
 
Et toi qui n’es plus rien et qui fus roi naguère,
Charles ! n’avais-tu pas ton droit de paix, de guerre.
Ta large part d’impôts, tes châteaux à choisir,
Tes veneurs, tes laquais, tes chiens, tes équipages,
Tes chambellans dorés, tes hérauts et tes pages
Et tes vastes forêts où chasser à loisir ?
 
T’empêchait-on d’aller au sein des basiliques,
Courbant ton front royal et baisant les reliques.
Garder, comme un soldat, un prêtre à tes côtés.
Et, du ministre saint implorant l’assistance,
Consumer dans le jeûne et dans la pénitence
Tout le restant des jours que le ciel t’a comptés ?
 
On t’entourait d’honneurs, de respects, et la France,
Qui voyait tout cela d’un air d’indifférence.
T’eût laissé jusqu’au bout, sans haine et sans effroi.
Saluer de la main du haut des galeries,
Sourire à tes valets et dans tes Tuileries
Mourir tranquillement sur ton fauteuil de roi !
 
Mais des hommes t’ont dit : « Sire, l’heure est venue,
Où votre volonté, trop longtemps méconnue.
Doit être apprise à tous et s’ouvrir un chemin ;
Et si quelque mutin se dresse et se récrie.
Nous avons-là Foucault et sa gendarmerie ;
         C’est l’affaire d’un coup de main.
 
« On en eut bon marché sous l’autre ministère.
Quelques coups de mitraille à propos l’ont fait taire,
Ce peuple ; il faut qu’il sache, au moins, si c’est en vain
Que Charles Xdix est roi de France et de Navarre
Et si d’un peu de sang il lui sied d’être avare
         Pour soutenir le droit divin,
 
« Et si des gens venaient, artisans d’imposture,
Vous parler de promesse et que c’est forfaiture
Que manquer de la sorte à la foi des serments
Jurés, devant l’autel, sur les saints Évangiles,
Et qu’après tout, la terre a des trônes fragiles,
         Et l’avenir des châtiments ;
 
« Sophismes dangereux, maximes immorales !
Propos séditieux de feuilles libérales !
Mais seulement un mot, un signe de la main,
Et vous verrez pâlir tous ces faiseurs d’émeute,
Comme un gibier peureux qui fuit devant la meute,
         Dans les forêts de Saint-Germain. »
 
Et toi, tu les as crus et, risquant la partie,
Sur un seul coup de dé perdu ta dynastie,
Bien puni maintenant, ô roi, pour avoir mis
Tant d’espoir dans ton Dieu, tant de foi dans sa grâce,
Et compté, pour ton trône et les gens de ta race,
Sur l’avenir sans fin qui leur était promis !
 
Mais comme au premier coup du marteau populaire
Ta vieille royauté, masure séculaire.
Lézardée et disjointe et qui n’en pouvait plus,
A craqué jusqu’au fond, tant l’heure était critique.
Tant sa chute était mûre et de ce dais gothique
La toile était usée et les ais vermoulus !
 
Et pour baisser si bas des têtes couronnées,
Qu’a-t-il fallu de temps au peuple ? Trois journées
D’ouvriers descendus en hâte des faubourgs,
Qui couraient sans savoir, au fort de la mêlée,
Ce que c’est qu’une marche, et comme elle est réglée
Sur les sons plus pressés ou plus lents des tambours.
 
Trois jours, et tout fut dit ; et la pâle bannière
Du faîte des palais a roulé dans l’ornière.
Et les trois fleurs de lis, honneur de ta maison,
N’ont d’asile aujourd’hui, tristes et détrônées,
Que dans quelques foyers de vieilles cheminées.
Ou les feuillets jaunis d’un traité de blason.
 
Eh quoi ! de tes malheurs le rude apprentissage
N’avait-il pu t’instruire et te faire assez sage,
Sans qu’il fallût encor, vieillard en cheveux gris,
Entendre le fracas de ton trône qui tombe.
Et retrouver si tard et si près de la tombe.
Ces leçons de l’exil qui ne t’ont rien appris ?
 
Tu l’as voulu pourtant ! Aussi bien, à ton âge.
Quand la mort à ce point est dans le voisinage,
A tout prendre, il vaut mieux, de tous ces vains joyaux
Débarrasser un front qu’a touché le Saint-Chrême,
Car pour qui va paraître au tribunal suprême.
Les plis sont bien persans des ornements royaux !
 
Va, mais ne songe plus, Majesté solitaire,
Qu’à ce royaume saint qui n’est plus de la terre ;
Songe au soin de ton âme, et, déchargé du faix
De cette royauté dont t’a perdu l’envie,
Songe à bien profiter, au moins pour l’autre vie,
De ces derniers loisirs que le peuple t’a faits.

Pièces inédites (1851)

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