Louisa Siefert

[Aujourd’hui, hier, demain]

                                     Aujourd’hui.
 
                                                 I.
 
En larges nappes d’or la lumière s’épanche :
Le soir viendra bientôt, six heures ont sonné.
L’ouvrier se revêt de sa chemise blanche
Et lustre de la main son vieux chapeau fané.
 
Enfin, voilà le jour de fête, le dimanche !
Il peut sortit : il est haletant, surmené.
Il traîne un chariot fait d’une vieille planche,
Où chante, rit & dort sans chétif dernier-né.
 
Les enfants vont devant & la mère pâlie,
Triste, derrière eux tous, seule, vient quelquefois.
Quand cet homme est debout tout son corps tremble & plie.
 
Quand il s’assied, il presse entre ses maigres doigts
Son front fier, écrasé par la misère humaine...
C’est ainsi qu’il respire une heure par semaine.
 
 
                                              Hier.
 
                                                II.
 
Rose comme une fleur de pommier au printemps,
Sous son petit bonnet de batiste empesée,
Naïve, confiante & de tout amusée,
Les yeux toujours emplis de beaux regards contents,
 
La lèvre toujours prête aux rires éclatants
Qui s’envolent au ciel ainsi qu’une fusée,
L’apprentie à son tour passe sous ma croisée
Au bras de son promis, beau garçon de vingt ans !
 
Dans sa petite main, une main qui travaille,
Elle tient un bouquet noué d’un brin de paille,
Qu’ils sont allés cueillir dans les champs reverdis.
 
Tout poudreux, tout hâlés, regagnant leurs taudis,
Ils se sentent légers comme les fleurs qu’ils sèment
Au vent sur leur passage : ils sont heureux, ils s’aiment !
 
                                          Demain.
 
                                               III.
 
Au dehors un temps gris de décembre. Au dedans
Le poêle froid, le lit vendu, le métier vide.
Assis, les bras croisés, calme, muet, livide,
L’ouvrier regardait, sa pipe éteinte aux dents.
 
Debout, sombre, les poings serrés, les yeux ardents,
Sa femme à son côté pleurait ; & chaque ride,
Comme un sillon creusé dans une terre aride,
Buvait sans les tarir ces flots trop abondants.
 
Et quand nous vîmes là cet homme & cette femme,
Et cette chambre nue & ce foyer sans flamme,
Nous eûmes le cœur pris d’une immense pitié.
 
Elle, devant nos mains pleines, baissa la tête
En rougissant ; mais lui, n’entendant qu’à moitié :
“ Femme, as-tu pas encor dix sous ? donne à la quête !”

"Rayons perdus" (1868)

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