Cécile Sauvage

Enfant, pâle embryon.

Enfant, pâle embryon, toi qui dors dans les eaux
Comme un petit dieu mort dans un cercueil de verre.
Tu goûtes maintenant l’existence légère
Du poisson qui somnole au-dessous des roseaux.
 
Tu vis comme la plante, et ton inconscience
Est un lis entr’ouvert qui n’a que sa candeur
Et qui ne sait pas même à quelle profondeur
Dans le sein de la terre il puise sa substance.
 
Douce fleur sans abeille et sans rosée au front,
Ma sève te parcourt et te prête son âme ;
Cependant l’étendue avare te réclame
Et te fait tressaillir dans mon petit giron.
 
Tu ne sais pas combien ta chair a mis de fibres
Dans le sol maternel et jeune de ma chair
Et jamais ton regard que je pressens si clair
N’apprendra ce mystère innocent dans les livres.
 
Qui peut dire comment je te serre de près ?
Tu m’appartiens ainsi que l’aurore à la plaine,
Autour de toi ma vie est une chaude laine
Où tes membres frileux poussent dans le secret.
 
Je suis autour de toi comme l’amande verte
Qui ferme son écrin sur l’amandon laiteux,
Comme la cosse molle aux replis cotonneux
Dont la graine enfantine et soyeuse est couverte.
 
La larme qui me monte aux yeux, tu la connais,
Elle a le goût profond de mon sang sur tes lèvres,
Tu sais quelles ferveurs, quelles brûlantes fièvres
Déchaînent dans ma veine un torrent acharné.
 
Je vois tes bras monter jusqu’à ma nuit obscure
Comme pour caresser ce que j’ai d’ignoré,
Ce point si douloureux où l’être resserré
Sent qu’il est étranger à toute la nature.
 
Écoute, maintenant que tu m’entends encore,
Imprime dans mon sein ta bouche puérile,
Réponds à mon amour avec ta chair docile
Quel autre enlacement me paraîtra plus fort ?
 
Les jours que je vivrai isolée et sans flamme,
Quand tu seras un homme et moins vivant pour moi,
Je reverrai les temps où j’étais avec toi,
Lorsque nous étions deux à jouer dans mon âme.
 
Car nous jouons parfois. Je te donne mon cœur
Comme un joyau vibrant qui contient des chimères,
Je te donne mes yeux où des images claires
Rament languissamment sur un lac de fraîcheur.
 
Ce sont des cygnes d’or qui semblent des navires,
Des nymphes de la nuit qui se posent sur l’eau.
La lune sur leur front incline son chapeau
Et ce n’est que pour toi qu’elles ont des sourires.
 
Aussi, quand tu feras plus tard tes premiers pas,
La rose, le soleil, l’arbre, la tourterelle,
Auront pour le regard de ta grâce nouvelle
Des gestes familiers que tu reconnaîtras.
 
Mais tu ne sauras plus sur quelles blondes rives
De gros poissons d’argent t’apportaient des anneaux
Ni sur quelle prairie intime des agneaux
Faisaient bondir l’ardeur de leurs pattes naïves.
 
Car jamais plus mon cœur qui parle avec le tien
Cette langue muette et chaude des pensées
Ne pourra renouer l’étreinte délacée :
L’aurore ne sait pas de quelle ombre elle vient.
 
Non, tu ne sauras pas quelle Vénus candide
Déposa dans ton sang la flamme du baiser,
L’angoisse du mystère où l’art va se briser,
Et ce goût de nourrir un désespoir timide.
 
Tu ne sauras plus rien de moi, le jour fatal
Où tu t’élanceras dans l’existence rude,
Ô mon petit miroir qui vois ma solitude
Se pencher anxieuse au bord de ton cristal.

L’âme en bourgeon (1910)

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